:i •♦. ^ .^ ï-^h HISTOIRE DU DIX-HUIT BRUMAIRE ET DE BUONAPARTE, Digitized by the Internet Archive • in 2009 witli funding from University of Ottawa Iittp.://www.arcliive.org/details/liistoiredudixliui01galluoft'' HISTOIRE DU DIX-HUIT BRUMAIRE ET DE BUONAPARTE. PAR M. GALLAÏS, AUTEUR DU DIX-HUIT FRUCTIDOR ET DE l'appel A LA POSTERITE. Justitia reclorum liberabit eos , et in insidiis suis capientur iniqui. ( Prov. xi. ) PREMIÈRE PARTIE. A PARIS, CHEZ MICHAUD FRÈRES, LIBRAIRES, KUE DES BONS-ENFANTS, N°. i^. DE L'IMPRIMERIE DE L. G. MICHAUD. M. DGCC. XIV. HWS. ^■■t PREFACE. JCjNFIn le temps de la justice est arrivé-, le grand coupable est tombé sous le poids de l'indignation publique : nous respirons. Nous attendions ce moment pour dire la vérité. Le moyen de parler, sous un gou- vernement qui nous avait tous bâillonnés ! Dans le déluge de maux qui nous a inon- dés depuis vingt-cinq ans, nous n'avons pas toujours été assez résignés pour bénir la main de la Providence; mais nous n'a- vons jamais été assez endurcis pour déses- pérer de sa bonté. Froissés par toutes les secousses de la révolution , criblés des blessures qu'elle nous a faite§ , nous avions bien quelquefois le murmure à la bouche; mais nous sen- tions toujours l'espérance au fond du cœur. Et comment n'eussions-nous pas espéré un meilleur sort, quand nous sommes convaincus, par l'expérience de tous les siè- cles, que tout ce qui est violent ne dure pas; et quand nous avons vu par nous- (6) mêmes que les auteurs de nos maux se dé- voraient les uns les autres. Quelle que soit l'adresse ou l'audace des usurpateurs, quoi qu'ils fassent par leurs promesses mensongères , ou par leurs me- naçantes déclarations , qu'ils brisent le.s presses , qu'ils salarient des flatteurs, qu'ils soient hérissés de baïonnettes, ou resplen- dissants d'or et de rubans, en sont-ils moins des usurpateurs? Ont-ils cru , avec Domi- tien , qu'ils nous feraient perdre la mé- moire, en nous fermant la bouche? L'usage affreux qu'ils faisaient de leur puissance , n'était pas plus propre à l'éterniser qu'à la sanctifier. Mais sur quelles bases avaient-ils donc fondé l'espoir d'en prolonger la durée? — Sur l'attachement de leurs amis , et sur la soumission de leurs victimes. Grossière illusion ! les scélérats ont des complices et point d'amis ; et leurs victi- mes ne leur doivent que haine et ven- geance. C'est en vain qu'à force de crimes et d'impostures ils espéraient échapper à leur inévitable punition. Une main inexorable. (7) une main de fer avait écrit sur leurs fronts décolorés , ces mots : Ils ont tué ï innocent; et au fond de leur cœur une yoix impor- tune criait sans cesse , l assassin périra ! La pourpre et le diadème n'étouffent point les remords, et cent mille baïon- nettes ne sont pas des arguments sans ré- plique. Tout ce qui n'est fondé que sur la forée, doit périr par la force. C'est la loi de la nature, c'est l'action et la réaction. Un soldat , transfuge de son armée , ar- rive en France du fond de l'Egypte , trom- pe tous les partis qui se partageaient les dépouilles de notre malheureux pays , ren- verse tous les pouvoirs qui le gouvernaient constitutionnellement, se met à leur place, et s'empare du trône. Et de quel droit?— De celui de l'épée. — Mais le droit de Té- pée est toujours contestable par l'épée. Tous les généraux avaient les mêmes titres que lui. Qui réglera tous ces droits ? Où s'arrêteront toutes ces prétentions? Devant la constitution, dit-on j faible bar- rière! Il n'y a pas un écolier en politique qui ne sache aujourd'hui qu'une constitu- (8) tion dénuée du prestige du temps , ou de» secours de la force, est le jouet de tous les partis , le manteau des usurpateurs , et le piège où ne tombent que les sots. Nous avons vu quatre constitutions tom- ber successivement l'une sur l'autre pen- dant les huit premières années de la révo- lution. Les auteurs de chacune prétendaient bien avoir fait un chef-d'œuvre de législa- tion, lorsque chacun de leur successeur a prouvé qu'ils n'avaient fait qu'un chef- d'œuvre de sottise. Celle que Buonaparte nous offrit à son avènement, n'avait sur les autres d'autre avantage que d'apporter un changement à notre situation ; et, malades comme nous étions , tout changement de situation dut nous paraître un soulagement. Ce soulagement fut de courte durée , et nous ne tardâmes pas à nous apercevoir que le despotisme avait remplacé l'anarchie , et qu'au lieu de cinq faibles gouvernants, nous avions un tyran plus sombre que Tibère et plus féroce que Néron. L'histoire du i8 brumaire, c'est-à-dire de la révolution qui a placé cet homme à la (9) tête (lu gouvernement, n'est point connue. Il a trouvé le secret de n'en laisser transpirer que ce qui convenait à son orgueil et à ses desseins. Il crut pouvoir étouffer la vérité, comme il avait étouffé la lumière. 11 sup- prima tous les journaux, dont les auteurs , doués de courage et de talent , excitaient sa défiance et ses inquiétudes. Sa police eut ordre de surveiller avec une minutieuse attention, les théâtres , les cafés, les gens de lettres et leurs ouvrages, les maisons d'éducation et renseignement public ; les poètes, les historiens, les libraires, les im- primeurs, en un mot, les hommes et les choses qui pouvaient mettre le moindre obstacle à ses vues, à ses projets, à son ambition. Il s'ensuivit que tous les canaux de la vérité furent obstrués , que tous les faits furent altérés, que tous ceux qui avaient quelque chose à dire, furent contraints de se taire , et que tous ceux qui avaient quelque chose à savoir^ restèrent dans une igno- rance complète , ou, ce qui était encore pis, n'apprirent que des failles et furent la dupe des plus grossières impostures. ( 1°) C'est pour détromper les uns et pour éclairer les autres , que nous publions au- jourd'hui les documents que nous avons recueillis dans le temps et sur la scène même des événements. Cette première partie de notre ouvrage était achevée et aurait pu paraître il y a quatorze ans. On s'apercevra que l'indigna- tion a souvent conduit notre plume, et nous ne nous en défendrons pas ; mais nous dirons , en même temps , que si nos ré- flexions sont quelquefois empreintes d'a- mertume, jamais nos récits n'ont été souillés par le mensonge. Nous avons cherché de bonne foi la vérité et nous l'avons dite avec franchise , sans autre intérêt que celui d'en rétablir les droits^ et de faire connaître aux nobles étrangers qui sont venus nous dé- livrer , par quels degrés de profonde astuce, de méchancetés combinées, d'infidélités de toute espèce , cet homme était parvenu à nous enchaîner av^c des chaînes d'acier, après nous avoir hébétés dans le cercle hideux de ses superstitions politiques. H/*^^fV^^%^^^«A^'V«^^V«.««%^^^^> toire , qui jusqu'ici n'ont fait que des sot- » tises, et qui ont perdu la confiance de la na- %f tion. Nommons-nous, s ow%^ protecteur delà >> France , et moi votre lieutenant. » S , que rien n'étonne dans son cabinet, mais que tout arrête quand il faut agir , répon- dit assez judicieusement: <,<,Je ne serais que » le singe de Cromwell ; cela ne réussirait pas » aujourd'hui. » Le temps se passait dans ces pusillanimes délibérations; quelques constituants ^d^Y^^é^ au conseil du Luxembourg, proposèrent un moyen terme , qui fut adopté; ce fut d'élever à la place d'un protecteur^ ou d'un consul j de- ( '7 ) vaal laquelle reculaient S et Barras, mi géné- ral assez couuu de Tarmée pour s'assurer et répondre de ses dispositions, mais non pas assez fort par lui-même poui^ être capable de secouer le joug d'influence auquel on se proposait de le soumettre par la suite. Ou jeta les } eux sur le général Joubert. Joubert était un jeune homme de moeurs douces , de belle ligure, brave soldai, bon offi- cier; il était né dans le département de l'Ain , avait fait la guerre d'Italie avec Bnonaparte , mais n'avait jamais commandé en chef, et ne se doutait guère du rôle qu'on allait lui faire jouer. Il fut nommé général en chef de l'armée d'Italie, (i). L'Italie était alors envahie par une armée russe, que commandait le comte de Swarow, et qui avait reçu de l'empereur Paul 1% Tordre positif de venir jusqu'à Paris, pour y. rétablir et la religion et la monarchie. ( Voyez une lettre écrite par ce général, datée de Novarre , le 20 septembre 1799, et imprimée dans les Journaux du temps). La première instruction que le général Jou- bert reçutde ses commettants, avant départir, fut de ne rien épargner pour battre les Russes. (i) Les conciliabules, oîi celle affiire fut arrangic, se te- naient à Creteil et à Autcuil. 2 (,8) On promit de lui en fournir tons les moyens $ il promit à son tour d'être fidèle à ses ins- tructions. Le succès trompa ses espérances. Il fut batlu et tué à la bataille deWovi. Les jacobins se réjouirent de sa mort avec une indécence qui trahissait les craintes que sa nomination leur avait inspirées. Les constituants eu ap- prirent la nouvelle avec effroi. Moreau, qui la manda à Syeyes, écrivit en même temps qu'il avait recueilli les débris de l'armée vaincue, et qu'il était retranché sous les murs de Gènes. Moreau, que les jacobins appelaient par dé- rision \e général des retraites , était, après Pi- chegru, le général français à qui la nation et les étrangers reconnaissaient le plus de talents militaires. 11 avait la confiance du soldat, dont il ménageait le sang, et que plus d'une fois il avait conduit à la victoire ; il aimait son pays et la liberté , mais la liberté fondée sur des lois et protégée par de sages institutions. Dans ses opérations militaires comme dans sa conduite privée il avait pris Turenne pour modèle; c'était la même modération, la même simplicité, le même coup-d'œil. Il savait, comme lui, mûrir ses plans, choisir son ter- .lain, prendre toutes les précautions qui peu- vent préparer le gain de la bataille ou assurer ('9) une retraile ; comme lui // était accoutumé à combattre sans colère y à vaincre sans am*^ hition et à triompJier sans vanité» A rëpoque dont nous parlons , il sut , avec une armée battue et découragée, arrêter, pen- dant deux mois , au pied des Apennins , l'ar- mée victorieuse des Russes, manœuvre sa- vante, et qui sauva la France de l'invasion dont elle était menacée. Ce fut aussi sur lui qne les constituants je- tèrent les yeux pour remplacer Joubert dans le plan qu'ils avaient projeté ; mais ses talents plus reconnus, sa réputation mieux établie, ses anciennes liaisons avec Piche^ru leur ins- pirèrent quelques défiances sur sa docilité à suivre le mouvement d'impulsion qu'ils vou- draient lui donner, et les força de mettre dans la négociation qu'ils ouvrirent à ce sujet, une lenteur et une circonspection qui la firent échouer. Cependant le danger devenait pressant. Les jacobins se doutant de ce qu'on tramait contre eux avaient jeté le masque et annoncé publi- quement leurs affreux projets. Ils ne crai- gnaient plus de dire à la tribune et dans leurs journaux, et jusque dausles rues, qu'il était né- cessaire de créer un comité de salut public, d'armer les faubourgs , de ressusciter les pi- 2.. t: 20 ) ques fàe nommer cnGnun tribunal révolulion- naire pour juger les émigrés, les royalistes el les voleurs. L'ex- général J... , devenu législateur et même orateur, avait prononcé à la tribune des Cinq-Cents un discours sur les dangers de la patrie. «Arracbons, s'élait-il écrié, arrachons le masque aux royalistes et les bâillons au peu- ple. Bravons tous les poignards ; il faut sauver la patrie... s> Ce discours avait réveillé toutes lespassions, jeté la joie dans le coeur des scé- lérats et l'alarme dans celui de tous les bons citoyens. Personne n'ignorait que le décret que de- mandaient J... et ses collègues faisait tomber tous les pouvoirs dans leurs mains, établissait une convention, un comité de salut public, un gouvernement révolutionnaire et la guillo- tine en permanence. Le même décret mettait Barras , Syeyes et tous les constituants à la dis- crétion de leurs ennemis , c'est-à - dire au pied de l'échafaud. 11 n'y avait plus à balancer. Toutes les au- tres considérations durent céder à celle d'un danger si pressant. Moreau seul pouvait les en délivrer. Il fut décidé qu'on lui en ferait sans délai la proposition. Le courrier chargé de (2. ) celle importante dépêche allait partir , quaud tout à coup on appiit qne Buonaparte était ar- rivé d'Egypte, débarqué à Fréjus le 16 vendé- miaire an 8 (7 octobre 1799) , et en route pour Paris. Jamais nouvelle plus inattendue n'arriva plus mal à propos, ne produisit plus d'étonné- ment dans tous les esprits , et n'eut des suites plus déplorables pour la France, pour l'Europe et pour le genre liumain. (22 ) CHAPITRE III. Retoui' de Buonapar'te. Depuis quatorze mois Biionaparte était exilé en Egyrte» où les élénieuts, les privations, les Turcs , lés Mamelucks et ses propres fautes , semblaient conspirer sa perte. L'opinion géné- rale l'avait condamné à terminer sa carrière dans ces pays lointains. Dix fois le bruit de sa mort et celui de la destruction de son armée avaient couru en Emope. Une fin obscure parmi les Arabes du désert , eût enseveli tout à la fois ses crimes , ses fanfaronnades et sa re- non)niée. La bonté qu'il avait essuyée devant Saint- Jean-d'^cre, le discrédit où ses revers l'a- vaient jeté parmi les naturels du pays , la dé- fection des beys , l'approche d'une armée ot- tomane destinée à le réduire, tout autorisait le préjugé quil touchait au clénoûment de son pce/ne. C'est au moment où on le croyait perdu dans les sables de la Syrie, qu'il débarqua eu Provence avec les généraux Bertbier, Miu'at, Lasnes, Marmont , Bessières et Andreossy ; et les trois savants, Berlholel , Mongeet Arnaud, Sou départ d'Egypte fut une véritable dcser^ ( 23 ) tion et un secret pour touterarmée(i). En voicî les détails puisés dans une proclamation de Tadministration «énérale du Var. Buonaparte ayant pris la résolution de re- venir en Europe , ne confia son dessein qu'au général Berthier , chef de son état-major ; il donna eu même temps ordre au vice-amiral Gantheaume d'armer les frégates la Muiron et la Carrière , l'aviso la Hevanche , et la tar- tane \ Indépendance , sans toutefois lui en dire les motifs. Cela fait , Buonaparte adressa un billet ca- clielé à tous ceux qu'il voulait emmener, avec ordre de ne l'ouvrir que tel jour, à telle heure, et sur le bord de la mer. Le 5 fructidor était le jour fixé pour le dé- part. Tous ceux qui avaient reçu le billet l'ou- vrirent au lieu désigné, et y trouvèrent l'ordre de s'embarquer sur-le-champ. Ils ne perdirent pas un instant, laissant leurs chevaux sur le rivage, et tous leurs effets daus leur loge- ment. Lorsque tout le monde fut à bord , on fit ( I ) (Vu magnifique tableau que Buonaparte et son historio- graphe nous ont présente de leurs victoires et de leurs travaux scientifiques, il ne manque qu'un supplément, savoir: j'esquisse de la contenance et des sentiments de l'armée , à l'instant où elle apprit la Idche désertion de son ge'ne'ral. ( 24 ) l'appel. Detix étraiii^eis furent reconnus et re- mis à terre. Ou lève Tancrc, les bâtiments sont sous voile , mais les veiUs contraires ne per- mettent de sortir d'Aboukir que le 7. En parlant, Buonaparte laissa un paquet à l'adresse du général Kleber, qui ne devait être ouvert que vingt-quatre heuresaprès. Le paquet renfermait sa nomination au commandement de l'armée d'Egjpte, et quelques avis sur des cas éventuels. Le même bonheur qui l'avait accompagné dans sa première traversée et suivi dans le cours de son expédition, le Ht échapper aux croiseurs anglais et ottomans , aux tempêtes et aux escadres delà Méditerranée. 11 arriva le g vendémiaire à Ajaccio, sans avoir fait aucune rencontre. Les vents con- traires l'y retinrent jusqu'au i5 ; le 16 il débar- qua à St. Rapheau. Deux heures après il était à Fréjus; et le 17 à six heures du soir il se mit en route pour Paris, avec le général Berlhier et les trois savants que nous avons nommés plus haut. En comptant la relâche de sept jours en Corse , son trajet s'est exécuté en cinq se- maines. C'est ici le moment de rappeler sommaire- ment l'histoire des premières années de sa vie politique. (25 ) CHAPITRE IV. Histoire de Buonaparte. JN APOLÉox BuoNAPARTE naquit à AJaccio en Corse, le i5 août 17^9, de Charles Buona- parte, procureur du roi dans cette ville, et de Laetitia Raniolini. Malgré les boutés dont M. de ÎNIarbeuf, couifiiauJaut de l'ile , ne cessa de combler sa famille , il §uca avec le lait la haine invétérée que la pluyart de ses compatriotes ont vouée à la France (i). M. de Marbeiif l'envoya à l'âge de huit ans au collège d'Auluu , puis à Técole militaire de Brieuue^ et enfin il vint en 1783 achever ses ettides à celle de Paris. Sa jeunesse n'eut rien d'extraordinaire qu'un goût marqué pour les jeux guerriers , et une extrême aversion pour la société de ses ca- marades. 11 s'était arrangé un petit jardia fermé de palissades, dans un coin de terrain abandonné, et c'était là que, seul et toujours (1) Les Romains ne voulaient pas de Corses , même pour esclaves. Lisez le po>-lrait que Tacite nous a laissé de ces ii;isu- laires. (26) d'humeur farouche , il passait tout le temps de ses récréalïons. La rëvoliitiou le trouva sous lieutenant dans un régiment d'artillerie; et i! en adopta les principes avec ardeur, malgré les obligations qu'il avait au roi. An siège de Toulon il se fit remarquer du général Dugommier, auquel on prêle à son su- jet un propos singulier, mais qu'il est permis de révoquer en doute : « que ce jeune homme, >5 dit-il aux représentants du peuple , fixe votre » attention; parce que si vous ne l'occupez >> pas , il saura bien s'avancer lui-même. » Il faut remarcpier que ce propos n'a été publié qu'après l'avancement du jeune homme, et par cela mê*ne il nous paraît très suspect. Je ne sais si le représentant du peuple Bef- froy ajouta foi à la prophétie du général Du- gommier; mais, loin de céder à sa recomman- dation, il destitua le jeune officier comme par- tisan tiop zdlé des hommes et des opinions que la journée du 9 thermitlor avait renversés. Ce fut en vain que celui-ci réclama contre sa destitution auprès d'/Vubry, alors chargé de la partie militaire au comité de salut pu- blic. Aiibri le connaissait déjà, et maintint l'arrêté de son collègue. Buonaparle eu conçut un violent chagrin , (27 ) et se détermina à quitter un pays qui savait si mal apprécier ses talents et récompenser ses services ; mais où aller 7 Constantiiiople attira ses regards , il résolut d'aller y chercher fortune; que lui imjiorlait un turban ou le bonnet rouge; Marat ou Ma- homet? Il sollicita la permission de s'expatrier, et ne put l'obtenir. Quelîes furent les raisons de ce refus ? Nous l'ignorons; mais rien au monde déplus malheureux ne pouvait nous arriver. On voit que les premières faveurs de la for- tune se firent attendre assez longtemps de cet homme que la flatterie s'est amusée souvent à nousrepiéseoter comme son fils aîné, et comme les ayant méritées dès son berceau. Elles ne s'annoncèrent ouvertement qu'à l'époque désastreuse du i3 vendémiaire ( lo octobre 1798). Barras, investi momentané- ment du pouvoir suprême, chargea Buonaparte de mitrailler et de repousser les sections de Paris qui voulaient secouer le joug de la con- vention. Buonaparte ne s'acquitta que trop bien de sa commission, et reçut pour récompense la main de madame veuve Beauharnais , et le comman- dement de l'armée d'Italie. Cette élévation su- bite étonna tout le inonde et l'élonna lui- (2») même; mais reprenant bientôt avec sa morgue insolente le Ion ridicule d'un matamore, il ré- pondit à ceux qui firent des observations sur sa jeunesse : » Dans six mois je serai vieux géné- » rai oi] je serai mort. » 11 ouvrit la campagne le 22 germinal an 4 (17 mars 1796), en montrant à son armée, du l;aut des Alpes , les fertiles plaines du Pié- mont et de la Lombardie, comnie la proie qu'il destinait à leur courage et à leurs fatigues. Avec de l'audace et de grands sacrifices d'bommes, il eut peu de peine à triompher à M'illésimo , à Montenotte et à Mondovi. Il passa le Pô auprès de Plaisance , courut à Parme, avec l'intention de piller cette ville , que son souverain rachela moyennant deux millions en argent et des tableaux. 11 attaqua ensuite le général Beaulieu , emporta le pont de Lodi , vendit la paix au duc de Modène , qui la paya dix millions et vingt tableaux choisis dans sa galerie. Cela fait , il revint sur ses pas , entra dans Milan , dont les habitants fu- rent soumis à une forte contribution militaire ; lit enfoncer à coups de canon les portes de Pavie , et fusiller les principaux habitants, qui avaient refusé de payer le tribut qu'il leur avait imposé ; occupa la Toscane et les étals du Payie, gagna la bataille d'Arcole, assiégea ( 29 ) el'prit.Manloiie. Sans déclaration de guerre il entra dans Venise, qu'il traita eu pays de con- quête, qu'il pilla comme une ville prise d'as- saut, et dont il renversa de fond en comble le gouvernement , qui, depuis 1200 ans, s'était distiui^ué en Europe , par la sagesse de ses ins- titutions et le bonheur de ses peuples. Son génie fécond en ressources, son invin- cible opiniâtreté , sa manière nouvelle de faire la guerre, et, plus que tout cela, sa mauvaise foi, ses proclamations séditieuses elles secours que lui fournissaient partout les propagandistes de la révolution , lui donnèrent une force qui déconcerta l'expérience des plus anciens généraux de l'Europe , et peuvent expliquer la rapidité de ses premières conquêtes. Des contestations qui s'élevèrent entre quel- ques-uns de ses lieutenants , et les gouver- neurs helvétiques des bailliages ultramontains, aux frontières du Milanais, attirèrent son at- tention , çt lui offrirent des prétextes pour aller exercer en Suisse les mêmes rapines, les mêmes violences qu'il avait exercées à Venise. 11 ne parlait des Suisses qu'avec aigreur, de leur gouvernement f[u'avec mépris , et de Berne qu'avec emportement. Il croyait, sur des bruits populaires, que cette dernière ville ren- (3o) fermait des trésors immenses , et ces trésor* tentaient sa cupidité. Ce projet, pour rexëoulion duquel le lemps seul lui nianc|ua , ne fut consomme que quinze mois api es, par des mains plus viles encore que les siennes; mais conuiie ce fut lui qui le conçut , c'est sur lui principalement que M. Mallet-du-Pan , auteur de V Essai historique sur la destruction de la Ligue helvétique^ en fait rejaillir la hcnte et l'exécration. Voici le portrait qu'il fait de ce héros prétendu. « Révolutionnaire par tempérament , 'con- quérant par subornation, injuste par instinct, outrageux dans la victoire , mercenaire dans sa protection , spoliateur inexorable , aussi terrible par ses artifices que par ses armes , déshonorant la valeur par l'abus réfléchi de la foi publique, couronnant l'immoralité des palmes de la philosophie , et l'oppressiem du chapeau de la liberté; tel était dès -lors ce Corse heureux , qui portait d'une main la torche d'Erostrate , et de l'autre le sabre de Genseric. » Qu'eût dit l'auteur de ce portrait , s'il eût vécu assez pour être témoin, comme nous, des forfaits inouïs dont le monstre s'est rendu coupable depuis ce temps-là ; des lâches assas- (3i) sinals commis sm' le duc crEnghien et sur lé général Pic!!egiii;derabominableperH{liequ'il a mise en œuvre pour faire arrêter le roi d'Espagne et son fils; de la guerre atroce que, par suite de celle pei fidie, il a portée et soute- Due pendant cinq ans en Espagne j des horribles traitemenls qu'il a fait subir au vénérable chef de l'Eglise, que, sans respect pour son âge sep- tuagénaire, sa dignité de Souverain, ses vertus touchantes, il a f.iit tramer , de prisons en pri- sons , comme le plus vil des scélérats ; de l'invasion gratuite de la Hollande et des villes anséatiques ; des rapines exercées en Alle- magne , en Autriche , en Prusse et en Polo- gne; de l'incendie de Moscou et des torrents de sang qu'il fait couler depuis quatorze ans.... ? Partout où il a porté ses pas, il a été précédé par la terreur , et suivi par la malédiction des peuples. Religions , coutumes , mœurs , gou- vernements, foi publique : il n'a jamais riea respecté ; il a tout foulé aux pieds. Les Français n'ont été entre ses mains que les instruments passifs de son insatiable ambi- tion et de son exécrable méchancelé ; mais les Français n'en expieront pas moins les maux incalculables qu'il a faits à l'Europe. Ah ! quel fléau pour le genre humain , que (32) rexislelTce d^un tel homme ! Que Massillou àvaîl bien raison lorsqu'il disait , dans un de ses sermons ( Petit- Carême ) : « Mais si Tambition gngne et infecle le cœur des princes, si le souverain, oubliant qu'il est le prolecteur de la tranquillité publi- que, préfère sa propre gloire au salut de ses peuples , s'il aime mieux, conquérir des pro- vinces que régner sur les coeurs ; s'il lui paraît plus glorieux d'élre le destructeur de ses voi- sins que le ] ère de son peuple j si le deuil et la désolation de ses sujets est le seul chant de joie qui accompagne ses victoires ; s'il fait ser- vir à lui seul une puissance qui ne lui a été donnée que pour rendre heureux ceux qu'il gouverne; en \\n mot, s'il n'est roi que pour faire répandre le sang des hommes , grand Dieu! quel lléau pour la terre! qiiel présent faites vous aux hommes dans votre colère , eu leur donnant un tel maître ! » Sa gloire , Sire , sera toujours souillée de sang. De vils flatteurs chanteront ses victoires; mais les campagnes, les villes et les provinces en pleureront. On lui dressera peut être des monuments pour immortaliser ses con(juétes ; mais les cendres encore fumantes de tant de villes autrefois florissantes, mais la désolation (33) de tant de campagnes, dépouillées de leur an- cienne beauté, mais les ruines de laot de murs sous les([ue]s des citoyens paisibles ont été en- sevelis ; mais tant de calamités qui subsisteront après lui , seront des monuments lugubres qui immortaliseront sa vanité et sa folie. 11 aura passé comme un torrent , pour ravager la terre, et non comme un fleuve majestueux pour y porter la joie et rabondance. Son nom sera écrit dans les annales de la postérité , parmi les conquérants, mais non parmi les bons roi^, et Ton ne rappellera riiisloire de son règtie que pour rappeler le souvenir des maux de toute espèce qu'il aura fails aux hommes. » On ne peut douter que Massillon n'ait eu en vue, dans cet admirable morceau , de décrier les conquêtes de I-ouis XIV ; mais ce morceau parait écrit d'hier, et condamne irrévocable- ment à l'opprobre les tiO[!\iêes (ï A UîlajB uo- naparbe. Guerrier féroce, politique ignorant , légis- lateur absurde, il signait de la même maiu le sac de Venise , les massacres de Pavie , le traité de Campo-Formio; la conslilulion de la République cisalpine et la révolution du i8 fructidor. Il vint à Paris dans l'espoir d'y recueillir le prix de tous ses exploits. 3 ( 34 ) On crut généralement qu'il y revenait avec le projet de changer la forme d'un gouverne- ment aussi détesié des Français que des éu-an- gers. Suspendons un moment notre récit sur les premières années de Buonaparte pour con- sidérer lélat de la France , à Tépoque du traité de Campo-Formio. (35) CHAPITRE V. Des partis qui divisaient la France en 1798. Dans cette bande de factieux qui se parta- geaient alors le gouvernement et les trésors de la France , il existait un schisme intestin , dont un danger commun pouvait suspendre l'éclat , mais dont un nouveau Cromwel pouvait pro- fiter avec avantage. Depuis les agitateurs de 1789 , jusqu'aux membres du directoire, tous n'avaient eu qu'un but, celui de s'emparer du pouvoir pour avoir de l'argent , et de se servir de cet argent pour conserver le pouvoir. Tous avaient travaillé avec plus ou moins d'adresse à s'ouvrir la porte du temple de la fortune , et à la refermer sur eux. Mais jamais la' fortune n'avait été ni plus aveugle , ni plus légère , dans la distribution de ses faveurs. Les chutes et les élévations se suc- cédaient avec une rapidité qui donnait à peine le temps aux spectateurs de reconnaître la figure des acteurs. Ceux qui occupaient alors la scène , son- geaient sérieusement à s'y maintenir , les uns 3.. (36) par rinslituliou olygarchique d'une puissance exéculive , qui absorberait toutes les branches derautorilé publique, en laissant à la nation les hochets et les formes de la république ; les autres par l'établissement d'un roi de théâtre , d'une espèce âe protecteur titulaire , dont ils seraient les tuteurs et les régents , et sous le nom duquel le véritable usurpateur saactioa- nerait ses volontés. La majorité du directoire composait la pre- mièie de ces deux factions 5 elle était favorisée par les anciens girondins , par les ennemis des terroristes et des royalistes , et par la foule de ces courtisans, qu'on trouve dans toutes les antichambres, dans celle de Robespierre com- me dans celle de Buonaparte. La seconde de ces factions , beaucoup plus souterraine et plus mystérieuse que l'autre , se composait de ce qu'on appelait assez impropre- ment les orléanistes , et qu'on eut mieux dési- gnée sous le nom de thermidoriens. Cette fac- tion était ancienne , elle avait devancé la nais- sance de la république; elle était destinée à lui survivre. S en était alors regardé comme Tarae invisible , et Barras comme le chef apparent. Autour de ces deux hommes si différents d'es- prit et de caractère , mais rapprochés par ua (37) danger commun , se groupaient les consti- tuants ^ les lettrés de rinstitut, les idéologues, ceux qui avaient été opprimés par le régime républicain , ceux qui désiraient un roi , mais non pas un roi légitime ; ceux qui, calculant la clémence de ce prince sur leurs fautes et leurs regrets , jugent impardonnables des offenses que la justice publique ne pardonne point ; dont l'orgueil combat la raison ; indécis dans leur conduite comme dans leurs vues ; beau- coup plus attachés à leurs intérêts qu'à leurs opinions, royalistes par considération person- nelle, enclins à relever le trône, pourvu qu'ils en occupent les gradins , et cjui , dans la fluc- tuation de leurs passions et de leurs craintes , concouraient à écarter tout système de monar- chie qui ne serait pas leur ouvrage. Changement de religion , de propriété et d,e dynastie y telle fut la pensée secrète des pre- miers auteurs de la révolution ; changement de dynastie , était resté le mot secret de rallie- ment des thermidoriens et des conjurés atta- chés à leur fortune. Les liaisons que Buonapartc avait eues avec quelques-uns de cv,s faiseurs de rois y et conser- vées avec quelques auhes, étaient de notoriété publique. Tout le monde savait qu'il devait son élévation à Carras ; qu'il entretenait une cor- (38) respondance suivie avec Tallien ; qu'il avait une haule considération pour Camb. . . . ; qu'il avait lu et goùlé les ouvrages de V ; qu'il aimait à consulter Démeunier , Garât et Re- gnault de St.-Jean-d'Angely. Tous ne pen- saient pas uniformément sur son compte , mais tous auraient volontiers consenti à en faire un pjotecteury s'ils avaient pu s'assurer de sa docilité à régner sous leur nom ; leur zèle se refroidit un peu en le voyant de plus près, en observant son maintien, ses discours, et ce ton tranchant et despotique que l'habitude du commandement militaire lui avait fait prendre en Italie. La fortune l'avait déjîi gâté. D'un autre côté, ceux des directeurs, et les députés aux conseils , qui n'étaient pas de ce parti , eu surveillèrent de près les mouvements , et tâchè- reul de les paralyser. Nous allons reprendre le fil de notre récit. (39) CHAPITRE VI. Suite de l'histoire de Buonaparte, JL HREïLLARD ct Merlin , instruits des complots du vainqueur d^Arcole^ mirent en délibéra- tion s'ils le feraient arrêter ; mais, effrayés des suites que pouvait entraîner un coup si hardi, ils se contentèrent de publier leur découverte, et de laisser entrevoir qu'ils étaient sur leurs gardes. Ils songèrent en même temps à éloigner de Paris ce jeune ambitieux également redouta- ble pour eux dans son cabinet et à la tête des armées. Ils l'envoyèrent à Rastadt en qualité de plénipotentiaire. Buonaparte eut l'air d'ac- cepter cette mission ; il se rendit à Rastadt , où il resta trois jours, et revint à Paris renouer le fil de ses intrigues ; mais pour ne pas trop ex- citer les soupçons de ses ennemis, il affecta une grande solitude, un dégoût du monde, une véritable abnégation des honneurs. Il se renferma dans sa petite maison de la rue Cbantereine, dite depuis rue de la Victoire^ j vécut en henuile, livré à rëlude des sciences (40) exactes et à la lecture des poésies d'Ossian. On Toyaitbien que ce n'était qu'une comédie; il se lassa bientôt de son rôle. 11 lui en fallait un plus brillatil. Maître de choisir son théâtre, pourvu qu'il fut loin de Paris, il jeta les yeux sur l'Éi^yptc, qu'il se proposait tout a la fois de conquérir , de civiliser el de gouverner. 11 annonça son projet, el le directoire se hâta de le favoriser en lui ouvrant ses trésors, ses chantiers et ses arsenaux. Ses préparatifs furent immenses et promptement achevés. 11 sortit de Toulon le 3o lloréal an 6 (ig mai J7(j8),avec une (lotte de treize vaisseaux de ligne, quatre frégates, cent quatre vingt-qua- torze vaifrseaux de transport , quarante mille hommes de débarquement et soixante millions en numéraire. Chemin faisant il s'empara de Tile de Malte, •ju'il pilla. Celte conquèle lui coula peu de peine. La villeet les forts qui avaient plus d'une fois résisté à toutes les armées ottomanes lui furent livrés par de lâches chevaliers, à la tête desquels étaient les commandeurs Uolomieu , BardonancheelTouzard.il débarqua sous les murs d'Alexandrie le juillet 1798. Tandis qu'il s'avançait vers le Caire, l'ami- ral Nelson livra à §a flotte un combat tel que (4«) Jes annales àe la marine française n'en offrent pas un second exemple. De nos treize vaisseaux de ligne neuf furent pris, deux brûlés et deux s'échappèrent ; des quatre frégates deux s'é- chappèrent , la troisième fut brûlée , la qua- trième coulée bas. L'amiral en chef Brueys et son capitaine de pavillon Casa-Biauca furent tués; le contre- amiral Blauquet du Cheyla fut dangereuse- ment blessé et pris. De tous les chefs de cette escadre le contre- amiral Yilleneuve fut le seul qui s'échappa sur l'un des deux vaisseaux qui ont survécu à cette horrible catastrophe ( i*'". août 1798). En écrivant cette nouvelle à son frère Jo seph, Buonaparte ne lui dissimula pas l'em- banas dans lequel il se trouvait, et les dangers qu'il avait à craindre , et ses regrets d'avoir entrepris celte expédition , et son désir de re- venir en France. Toutes les lettres de ses offi- ciers étaient remplies de plaintes sur leur sort, sur la misère qu'ils éprouvaient , sur l'issue fa- tale ijU'ils redoutaient. Buonaparte débutait en Egypte sous de mau~ vais auspices. Le cours de sou expédition s'en est ressenti jusqu'à la fin. Souvent vainqueur des Mamelucks et des Turcs , quelquefois battu ]'ar les beys , toujours harcelé par les Arabes, (42) par le climat , par les privations de toute es* pèce, courant en vrai Don Quichotte, du Caire à Sués, de Sues à Saint- Jean -d'Acre, de Saint- Jean d'Acre à Abouklr, détruisant tout sur son passage, ne fondant rien, n'espérant rien , et ne songeant, au bout de treize mois, qu'aux moyens de fuir et de quitter , comme un déser- teur, cette terre classique qu'il s'était vanté de conquérir, et de rendre aux sciences, aux arts et au bonheur. Yoiià ce qu'il a fait , et ce qu'ont si maladroitement vanté ses (lalteurs et ses amis. Cette expédition nous a coûté les restes de notre marine, quarante mille guerriers, cent millions, et la perte de notre plus ancien allié; et telle est d'une part l'insolenle audace de ce chef de brigands, que, dans sa correspon- dance avec le directoire, il ne parlait que de ses succès brillants, de ses victoires éclatan- tes, de ses espérances magnifiques! 11 disait à ses soldats : « Vous allez entreprendre une conquête dont les effets sur la civilisation et le com- merce du monde sont incalcidables. Vous por- terez à l'Angleterre le coup le plus sur et le plus sensible, en attendant que vous puissiez lui donner le coup de la mort. Nous ferons quelques marches fatigantes , nous livrerons (43) plusieurs combats , nous réussirons dans toutes ces entreprises; daus quelques jours d'ici les beys et les Mamelucks n'existeront plus. » 11 écrivait au pacha d'Egypte : « Tu es sans doute instruit que je ne viens point en Egypte pour détruire le koran et dé- trôner le sultan; lu sais que le sultan n'a pas de plus ancien anii et de plus ancien allié que le Français ; viens donc à ma rencontre, et mau- dis avec moi la race impie des beys. » 11 adressait aux peuples d'Egypte cette pro- clamation : « Peuples d'Egypte , on dira que je viens pour détruire votre religion ; ne le croyez pas : répondez que je viens pour rétablir vos droits, punir les usui pâleurs , et que je respecte , plus que les Mara= lucks , Dieu , son prophète et le koran. » Kadis, imans, scheiks, dites au peuple que nous sommes amis des vrais musulmans ? IN'est-ce pas nous qui avons détruit le pape? JiN'esst-ce pas nous qui avons détruit les che- valiers de Malte V N'est ce pas nous qui avons été dans tous les siècles les amis du grand sei- gneur ? Trois fois heureux ceux qui seront avec nous! ils prospéreront dails leur fortune et dans leur rang. Malheur à ceux qui com- battroui contre nous , ils périront tous. » (44) Ce fut peu de temps après cette belle pro- clamation , que les habitauts du Caire , qui ap- paremment ne l'avaient pas lue , ou ne l'avaient pas comprise, refusant de payer une imposi- tion de dix piastres par maison , furent rangés dans la classe de ceux qui ne devaient pas prospérer dans leur fortune , et furent mi- traillés dans les mosquées , dans leurs maisons et dans les rues. Leurs bourreaux eux-mêmes avouent qu'ils en tuèrent quatre -vingt mille dans cette affaire. Tout ce qui échappa à cette boucherie , chercha son salut dans la fuite et à la campagne. C'était ainsi que le nouveau Solori régéné- rait l'Egypte, rétablissait les peuples dans leurs droits, et respectait Dieu, sou prophète et le korau ; et il osait s'en vanter ! Et telle était d'un autre côté la stupide crédulité de la plu- part des Parisiens , qu'en lisant ces récits tantôt burlesques et tantôt abominables, ils étaient prêts de se prosterner devant le génie d'un homme qui avait arboré l'étendard tricolorsur les pyramides d'Egypte , qui exterminait les beys , protégeait l'alcoran , cl promettait d'af- franchir et d'éclairer tous les peuple^ de l'Afri- que et de l'Asie! Nous avons dit plus haut que, malgré les craintes qu'inspiraient le directoire et Buona- (45) parte , les officiers de celui - ci n'écrivaient guère en France que des plaintes qui démenv taient étrangement les récits pompeux du gé- néral. Nous ne citerons qu'une seulelettre, extraite de la correspondance de l'armée française en Egypte , interceptée par l'escadre de l'amiral Nelson, et publiée à Londres en 1799. No. VI. Colbert à son ami Calasse. Tersi , 6 thermidor an 6. « Je m'empresse, mon cher ami, de te donner de mes nouvelles et de te dire quelques mots des souffrances horribles et des désagréments de toute espèce que nous avons éprouvés. » Je suis dans le dénuement le plus absolu de toutes les choses nécessaires à la vie. Souffran- ces sur souffrances, privations , mortifications , regrets, fatigues, nous éprouvons tout de la pre- mière main; les trois quarts du temps mourir de faim , tel est le tableau et abrégé de mon existence , dans ce maudit pay s , où je voudrais , pour dix ans de ma vie, n'être jamais venu Buonaparle quitta cette terre de désolation avec plus d'empressement qu'il n'y était arrivé^ (46) il y a eu bien des versions sur les mol ifs de son évasion : ses flatteurs ont dit, et les idiots ont répété qu'il n'en avait pas eu d'autre que le zèle du bien public et le désir qu'il avait de ré- parer les désastres de nos années. C'est bien dans son cœur qu'il faut aller chercber le zèle du bien public l Et , quant au désastre de nos armées, il n'en avait aucune connaissance, il ne songeait donc pas à les réparer. La vérité est qu'il saisit avec ardeur, pour terminer son exil , le moment où les affaires militaires l'avaient ramené sur la côte. 11 pro- fita du relâcbe et de la tranquillité qu'il venait de s'assurer par le combat d'Aboukir , pour s'embarquer à l'insu et des Éj^yplieus et de son armée. Ses flatteurs ont encore dit que son arrivée en France avait excité une joie universelle. Cela n'est pas vrai. Son arrivée surprit tout le monde , ne ré- jouit personne , et jeta seulement l'alarme dans les deux grands partis qui divisaient le gouvernement, et qui durent lui soupçonner des intentions secrètes de les combattre et de se mettre à leur place. La curiosité du public fut grande en effet « non sur sa personne mais sur ses projets. Cba- cuu se demandait que va-til faire ? (47) Il va rétablir la nionarcliie, répondaient les uns : il vient pacifier 1 Europe, répondaient les autres. Il fallait avoir une grande dose de cré- dulité, pour ajouter foi à ces deux conjectures. Messieurs, messieurs, répliquaient les oIj- servateurs éclairés , vous n'aurez ni paix , ni monarchie. Cet homme a reçu de la nature une ame ardente , un caractère absolu , une ambition démesurée , il apporte de l'Egypte des ressentiments, un style oriental et le sceptre des Mamelucks. Vous aurez avec lui un tyraa farouche et une guerre éternelle. Les événements n'ont que trop justifié ces sombres présages. ( 43 ) CHAPITRE VII. Une nouvelle révolution était inévitable, JL) E p u I S la journée du 3o prairial ( 1 8 juin) qui renouvela le directoire, eu reformant ses usur- pations et en avilissant son autorité, la républi- que se traînait entre un gouvernement chance- lant et une législature anarchique. Toutes les factions inquiètes et mécontentes la poussaient vers un dénouement quelconque. Quoique les jacobins n'eussent pu faireprévaloir leurs inno- vations et leurs fureurs , ils s'étaient rendus assez redoutables pour obliger le pouvoir exé- cutif à les ménager. Ils ne régnaient pas, mais ils embarrassaient, ils contrariaient tous ceux qui osaient régner (i). Deux des directeurs les favorisaient; B se tenait à l'écart par calcul ou par indolence ; les bureaux et les administrations offraient la (i j M. Le Maire , aujourd'hui un de nos professeurs les plus dislingue's , alors commissaire du Directoire auprès du bureau central , fit de puissants et d'heureux efforts pour comprimer ceux des jacobins qui voulaient l'aire un mouvement dans Paris. ( 49 ) bigarrure la plus monslruense. A côté de quel- ques hommes iiislruils et honuélcs, en petit nombre, se trouvaient placés des ban;lits aussi pervers qu'ignorants, qui épiaient Tinslant de commettre de nouveaux crimes, et qui étaient cliargés de les préparer. Les conseils étaient divisés, comme le direc- toire. Les jacobins y dominaient par leur au- dace plus que par leur nombre (r). Jamais a.ssemblée délibérante ne montra un tel vide de sagesse, de connaissances et de capacité la plus vulgaire. Elle venait de pro- clamer deux lois qui allumèrent entre elles la baine générale; celle des otages ^ qui fit sou- lever tous les départements de l'ouest , et celle de V emprunt forcé , qui ne reçut aucune exé- cution. Les recettes en souffrance et affaiblies, les troupes sans paye, des projets insensés, des lois sans force, des législaleiu^s sans considéra- tion, une corruption sans exemple infestant (i ) Le foyer des jacobins , leur grand théâtre , leur bureau centra! était au manège , rue du I^ac , où l'on voyait rassem- blés des hommes que l'on a vu depuis 0(C pcr des places très lucratives, et entr'autres un sieur ï , qui recevait, avant le 29 mirs dernier , de riches appointent nls à la police aux droits réunis et dans l'instruction publique. (5o) les bureaux et les administrations, la guerre civile prête à éclore, nulle fixité ni dans les plans , ni dans les institutions , ni dans les vo- lonles : telle était la situation iutërieufe de Tétat. Chacun sentait, chacun disait raêrae assez haut qu'un caustique violent pouvait seul guérir cette gangfène générale. Mais quel médecin , quel enijiyrique devaient l'appliquer ? Cela n'é- tait pas aussi clair : jacobins et modérés invo- quaient également la constitution; jacobins et modérés avaient également décidé qu'elle ne pouvait plus subsister. Depuis la mi octobre toutes les subdivisions de partis s'étaient fondues endeux grandes sec- tions: l'une àe jacobiîvs^ qui tendait à relever le pouvoir de l'ancien comité de salut public ; l'autre de modérés^ qui réclamait des lois et un pouvoir exécutif plus concentré. On s'accorde généralement à regarder S,*m*1 comme le chef de ce dernier parti, et comme l'auteur de la révolution qui devait le faire triompher ; mais une foule de considérations de lenteurs et d'obstacles embarrassaient sa route, lorsque le retour imprevu de Buona- parte , sans changer sou plan , en accéléra l'exécution. ( 5. ) Dès les premiers jours de son arrivée, le gé* nëral prouva aux deux paiiis qu'il pouvait se passer de leurs secours, en leur laissant croire lOMlefois qu'il ne refuserait pas leurs services. Il se déploya avec une assurance et une hau- t( ur qui attestèrent rojûnion qu'il avait de soa impoitance, de sa fortun;* et de son ascendant sur les circonstances actuelles. DedHisneux» froid et taciturne avec les mag'Straîs supé- rieurs, caressant avec It soldatesque, dissi- mulant ses vues el ses affeclious, il réussit à les masquer, il se vit recherclié par les deux partis. Les jacobins l'encensèrent, l'accablèrenl de témoignages de confiance, et se tla Itèrent de rentraîuei'. Les modérés renchérirent d'éloges et d'adii* lations; ils s'employèrent à faire cesser la froi* deur qui existait entre lui et S Car , quoique l'un et l'autre reconnussent le besoin de se rapprocher et de s'unir, chacun reculait sur les avances. Trois jours s'écoulèrent sans que le punctl^iio eût |>ermis aux deux personnages de se visiter. On vit même le moment où leurs partisans respectifs allaient se diviser, [jc plus grand nombre encore attaché à Tombro de la république se prononçait en faveur de S , 4- (52) tandis que ceux qui n'aspiraient qu'à une fin quelconque, ou à des projets personnels, se déclaraient pour Buonaparte. La posilion de celui-ci ne lui permit pas j)lus long-temps de traiter d'égal à égal avec le directeur. Son crédit baissait à vue d'oeil. Les jacobins l'avaient deviné, il craignit de tout perdre en voulant trop exiger. 11 fit les premières avances. Une fois d'accord sur leurs rôles respectifs et sur l'emploi des moyens qu'ils avaient à leur disposition, il ne fut plus question que de préparer la catastropbe en silence. Les deux chefs étaient convenus de ne pas multiplier le nombre de leurs confidents , de cacher même h la plupart de ceux-ci et les dé- tails et l'époque précise de la conjuration , de sorte que l'on croit que le secret demeura tout entier dans la tête de Buonaparte, de S » de Fouché de Nantes, de Regnault de St.-Jean- d'Angely et de R Ce dernier est celui qui , en habile négocia- teur, avait réussi à rapprocher les deux chefs. Ce rôle lui donna, aux yeux de Buonaparte, une importance passagère qu'il n'a pu soutenir long-temps. Buonaparte se sert volontiers des talents qu'il trouve sous sa main, mais dès qu'il ( 53 ) n'eD a ])liis besoin, il les écarte autant qu'il peut; et même, quand il le veut, il sait le moyen de les avilir. Il y avait alors dans Paris un grand nombre d'officiers -généraux qui chercliaieut fortune et qui comptaient sur Buouapartepour la faire. Les troupes de la garnison étaient travaillées, et furent aisément subornées; les comités diri- geants des anciens , dans lesquels S.... avait placé le point d'appui de ses leviers, étaient instruits et disciplinés; la cabale anti - consti- tutionnelle dans les Cinq-Cents, était prévenue et prête à favoriser ce grand mouvement. Le public en attendait un, sans soupçonner quel en serait le but, mais sacbant à peu près quels en seraient les auteurs. Deux jours avant qu'il éclatât (le 7 novembre ) , le directoire et les conseils donnèrent une fête, c'est à dire un repas magnifique à Buonaparte, dans l'église de St.-Sulpice, métamorphosée par François de JNeufcbâteau, en temple delà victoire. C'était le repas des Atrides. Les convives , contre leur ordinaire, mangèrent peu et s'observèrent beaucoup. Le héros de la fête n'y parut qu'un instant. 11 y parut entouré d'un nombreux état- major, affectant la morgue , le regard et l'air sourcilleux d'un chef de parti ; ce qui était (54) fort inaladroit et pouvait renverser le sien. Ses amis en furent alarinés. Ici les jacobins le péné- trèrent toîit entier. Ou porta un toast àVunion des cœurs ; et on sortit pour aller s'égori^er. Le vendredi 8, veille «lu coup de main, les conjurés craignirent un moment d'être décou- ver's. Ou vint leur dire qu'ils allaient être dé- noncés aux Cinq- Cents, et que Buonaparte serait arrêté. Mais ce iul une fausse alerte, et une terreur panique. 11 faut convenir ce]iendanl que Buonaparte avait exposé le complot au plus grand danger, en faisant diffv^rer de vingt quatre heures, soq exécution. Ibut était préi le 8; les lettres de convocation adiesséesà ceux des anciens sur lesquels ou com[)tait, et qu'on avait gagnés» allaient être expédiées. Le héros, contrel'avis de t(ais ses complices, et sans motif apparent, ajourna l'affaire au lendemain 9. Si on est étonné de l'inaction et de la sécurité des jacoMos dans ce moment redoulahle, on ne l'est pas moins des fautes et des méprises qui échappèrent à leurs adversaires. Le 8 à dix beures du S(Mr, Buoujiparte en\oya chercher le géuéral Bernadolte, lui confia le secret de la conspiranon, et lui demanda s'il | ouvait compter sur lui. « Général , répondit Berna* (55) >j dotte , /e conçois la liberté autrement ^ et » votre plan la tue. — En ce cas-là , reprit >» Buonaparte, puisque vous avez mou secret, >> vous ne sortirez pas d'ici. — Je ne veux pas » être en arrestation ^ reprit Bernadotte. — » Donnez - moi doue voire parole d'honneur » que vous n'avez rien entendu. — Je vous la, » donne. » Et Buonaparte le laissa sortir. % (56) CHAPITRE VIII. Révolution du i^hrumaire (9 novembre lyQQ)- Première jon rnée. X-«E g novembre à cinq heures du matin, cinq dc|)iilés, lo! mani la commission des inspec- teurs de la salledes Anciens, convoquèrent claudeslinement ceux de leurs collègues qui élaietu initiés dans la conjuration. Le citoyen C . . ., député du Loiret, pérora ce conveulicule, et lui exposa avec emphase l'uii^ence de sauver la patrie, et d'employer à cet elïel le bras [)uissant d'un héro&juie le ciel avait créé tout exprès pour ctla. i^)arla de poignards levés sur les représentants du peuple, et sur tous les habitants de Paris, de rincendie de cette grande ville, sur les cendres de laquelle nos neveux verseraient des larmes de sang. Il reproduisit les symp- tômes alarmants, les rapports sinistres, les pensées atroces dont le parti opposé n'avait cessé (le nous entretenir depuis le 3o ])rairiaî, et que le citoyen C. . . . et hcs amis avaient constamment niés ou tournes en ridicule. 11 fiuit par deuuiuder un décret qui transférât le (57) Corps-législatif à St. -Clond, et un autre qui doun^t à Biionaparte le commandeinent «éué- ral de toutes Ks forces armées de la répu- blique. C'était lui conférer la dictature. INous ne ferons qu'ime seule réilexion sur le discours du ciloyeu C...., c'est (ju'il r^ons a fait douter de la conspiration de C atillna. 11 y a pourtant loin de Catiliua à Buonaparte, et du député frauçaisàCicéron î Hébien! l'orateur des Anciens, peut se vanter de nous avoir fait franchir, par la pensée, rintervalle de dix.-iiuit siècles, qui séparent les deux époques. En lisant avec quelque altenliou l'histoire des conjurations modernes et les injures dont les vainqueurs ne manquent jamais d'accabler les vaincus, je me suis mis en tète que Catilina n'était peut-être pas si coupable qu'on nous l'a dit; et que Salluste, sou historien, n'en avait dit tant de mal que pour effacer, autant qu'il était en lui, les traces de complicité dont il était fortement empreint. • Si Catilina fût sorti vainqueur de celte lutte orageuse dont Rome était le prix magnifique, pensez-vous qu'il eut été assez mal avisé pour brûler la grande ville , et pour en égorger tous les habitants, comme Cicéron l'en a si souvent accusé? Pensez vous que les beaux discours de Cicéron fussent arrivés jusqu'à nous? iNe penseZ" (58) VOUS pas au contraire que Salluste lui-même eût refait son histoire, et qu'il eût fait de Calilina un héros ? C'est pourquoi M. de Lauiagais disait, ]e 14 juillet 17Î39, en considérant ce qui se passait à Versailles : Je refais mon histoire. Refaisons la nôtre; et n'écoutons qu'avec une extrême circonspection les vainqueurs du 18 hruniaire, quand ils parlent des dangers qu'ils ont courus et du héros qui les a sauvés. Le dëc^'et proposé par M. C. . . . passa sans discussion. Buonaparte, introduit dans la salle, en entendit la lecture, l'approuva en maître, et eu jura l'exécution en vrai capitan. « Malheur à ceux, qui voudraient le trouble et le désordre, s'écria- 1- il devant ce sénat d'automates! Je les arrêterai, je les punirai. Qu'on ne cherche pas des exemples dans le passé ; rien dans l'histoire ne ressemble à la fin du dix-huitième siècle; rien dans la fin du dix- huit ième siècle ne ressemble au moment actuel : vous aurez bientôt la paix. » Ce rare morceau d'éloquence fut appuyé par dix mille soldats, qui se rassemblaient aux Tuileries, et que l'oiateur i»uerrier passa fiè- rentent en revue ; après quoi il leur dit : « sol- » (iats, la république était mal i^ouvernée de- >>puis deux, ausj vous avez espéié que mon (59) » retour mettrait un terme à tant rie maux« » Vous l'avez célébré avec une joie qui m'im- » pose dos oblii^a'.ions que je remplis: vous rem- » pllrez les vôtres, en secondant votre général » avec l'énergie , la confiance et la fermeté que » j'ai toujours vues eu vous. La liberté, la vic- » toire et la paix, replaceront la république » frauçaise au rang qu'elle occupait eu Europe » et que l'ineptie et la trahison lui ont fait » perdre.» Vive la république. Que faisaient pendant ce temps là les cinq rois du Luxembourg? S. et R. D. , complices du général, s'échappè- rent de leurs palais coraaie des écoliers marau- deurs , et vinrent le rejoindre aux Tuileries, Gohier se conduisit avec dignité et refusa de donner i>a démission. Moulin sauta par une fenêtre et se sauva. Barras s'apercevant alors qu'il était le jouet de deux hommes qui lui devaient également leur élévation, eut le bon esprit de ne pas s'en, plaindre; il donna, sans hésiter, sa démission à celui qui vim la lui demander, et partit jiour Grosbois, qu'il trouva désert et abandonné de tous les courtisans qui , la veilLi encore, \w\ gvaient juré de vivre et de mourir avec lui, Qç\ (6o) catastrophes ne sont point rares , n'étonnent que les sols et n'ont corrigé aucun amiîitieux. Le peuple, qu'elles réjouissent quelquefois , voyait d'un œil tranquille les mouvements qui accompagnaient celle-ci. Ni les travaux , ni les spectacles ne furent interromjms. Paris de- meura aussi paisible queConstanlinople, après la disgrâce d'un visir. Les divers commande- ments furent distribués sans bruit , tous les postes assignés et pris sans résistance (i). Le conseil des cinq-cents convoqué de la même manière que celui des anciens, reçut le décret de translation et l'enregistra sans délibérer. Le public , satisfait jusqu'à un certain point de voir la querelle engagée, n'était pourtant pas tout-à-fait sans inquiétude sur l'issue qu'elle devait avoir, et qu'elle ne pouvait avoir que le lendemain : il attendait ce lendemain avec im- patience; les jacobins l'attendaient avec effroi ^ les conjurés avec confiance. Nous n'avons jamais pu comprendre l'inac- (i ) Voici l'ordre et la distribution de ces postes. ]\îorand fut nommé au commandement de Paris , Lannes à celui des Tuile- ries, Morcau au Luxembourg, Murât au conseil des cinq-cents Marraont à l'École militaire , Serrurier à St.-Cloud , Macdo- nald à Versailles. On voit que le prévoyant général avait songe à tout. (6i ) tion des jacobins dans une circonstance aussi décisive. Us paraissaient anéantis sous un coup imprévu. On eîil dit qu'ils étaient morts par cela seul qu'ils étaient attaqués. II est vrai que jusqu'alors ils avaient toujours été les agres- seurs, et toujours réussi. Us étaient dans une position toute nouvelle pour eux. Le courage et la présence d'esprit leur manquèrent à la fois. 11 était beaucoup plus facile de compren- dre et d'expliquer pourquoi le peuple de Paris ne prit aucune part , et fort peu d'intérêt à une révolution qui allait changer ses destinées. Eh! que lui importait désormais le nom de ses maîtres, depuis qu'une fatale expérience lui avait appris qu'aucun changement n'avait amélioré son sort.^ Tous les ans, chaque maître nouveau lui promettait des merveilles; mais aucun ne lui ayant tenu parole, il était payé pour n'y plus croire. Cependant le nom de Buonaparte n'était pas sans célébrité ; mais à nos yeux, il rentrait dans la foule, en se trouvant inscrit après ceux de M.... de B.... et de T.... Quant au directoire, personne ne le regretta. La violence achevait ici ce que le mépris avait commencé depuis quatre ans. Des treize directeurs qui s'étaient succédés dans celte période de temps, uu seul, M. Bar- (62) tlielemî avait oblenu les suffrages de la nation^ deux avaient mouiré du talent (MM. Carnot clSyeyes). Les conseils n'inspiraient ni plus de regrets, ni pins d'intérêt. Des sis. asseiuMées délibé- rantes, qui, depuis dix ans, avaient tonr à tour excité el frustre nos espérances, quelle est celle qui méritera une place honorable dans l'his- toire ? La première , connue sous le nom de consti- tuante ^ brilla sur notre horizon politique, comme un de ces météores effrayants, qui, cnli^ les deux tropiques, annoncent les orages el la mort. Ce fut elle qui relâcha tous les liens qui attachaient une nation fidèle au monarque qui la protégeait et la rendait heureuse. Ce fut elle qui ouvrit ce vaste abîme dans lequel se sont engloutis la religion, la nionarchie, la propriété, l'honneur el le repos. Ce fut elle enfin qui déchaîna tous les monstres que ren- fermaient les cachots, les bagnes et les en- trailles de la terre. Eb î que nous font aujour- d'hui les talents de MM. de Mirabeau , Lameth, Chapellier, Barnave , lorsque nous avons droit de leur reprocher tous les maux qne nous endurons , et lorsque ces maux ne pourraient être pires, s'ils étaient Touvrage immédiat de Tibère, de Néron, d'Aureng-Zeb, de Philip- (63) pe II, de Robespierre et de tous les brigands qui ont ravagé la terre ? La seconde assemblée , connue sous le nom de législative t et composée d'hommes nou- veaux, et nouveaux en toutes choses, en scien- ces politiques, eu prétentions, en amour-propre et surtout en sagesse et en raison , se ciut ap- pelée à la régénération du monde , s'entoura des monstres que la première assemblée avait déchaînés, et fil avec eux les journées à );miais funestes des 20 juin , 10 août et 2 septembre 1792. La troisième assemblée, célèbre sous le nom de Convention , fonda une république de can- nibales, envoya Louis XYI et Marie-Antoi- nette à l'échafaud , fit de la France un vaste cimetière, et marcha à son immortelle infamie sous les drapeaux sanglants de Marat, de Dan- ton et de Robespierre. La quatrième prit naissance avec le direc- toire, et fut partagée en deux sections, dont l'une prit le nom de conseil des Anciens , et l'autre celui des Cinq Cents. INi les Cinq Cents, ni les Anciens, ne répondirent aux voeux de la Dation; ils lui offrirent l'étrange et dégoûtant spectacle d'une lutte inégale entre le crime en. action , et la morale en théorie. La cinquième assemblée montra quelque (64) courage , et nous laissa concevoir des espé- rances qui t'urt nt bientôt absorbées dans la ré- volution du i8 fructidor. La sixième, nommée sous les auspices des tyrans du Luxembourg, resta vautrée anx pieJs de ses maîtres, et plongée dans la fange abjecte des plus viles saturnales. La septième et dernière secoua le joug avilissant du directoire , et fut sur le point de nous remettre sous celui de la terreur. En perdant pour toujours et ses assemblées délibérantes, et son directoire, !a nation n'avait donc rien à regretter: elle crut n'avoir rieu à démêler dans les débats qui s'ouvraient le iS brumaire entre les deux grands partis, (jui se disputaient le droit delà gouverner: mais elle n'était pas sans curiosité sur la décision de ce grand procès qui devait avoir lieu le lendemain k Saiut-Cloud. (65) CHAPITRE IX. Conspiration du 18 brumaire. Deuxième journée, 1_> m'environne de calomnies. — On m'abreuve » de dégoûts. — J'entends circuler autour de >j moi les noms odieux de Cromwell , de ty- » ran , et de gouvernement militaire. » — Il y a long-temps que j'aurais pu tenter 5) cette entreprise. » — Barras et Moulin m'ont proposé de ren- » verser le gouvernement, et do prendre la (67) » direction des affaires ; mais qu'on ne voie eu. » moi ni un factieux , ni un vil intrigant , j^ » ne connais que la grande coterie du peuple ^^ français. » Ici Toraleur reprit , avec sa respiration , un peu plus d'audace ; et jetant un coup - d'œil anime du coté où se tenaient les réfractaires qu'on lui avait bien désignés , il continua ainsi : «Vous convient-il d'invoquer la constitU'- » tion? Vous l'avez violée au i^ fructidor, au W 22 floréal, au 3o prairial (i), la constitu- » tion! toutes les factions l'ont violée; elle est » méprisée par toutes. Si quelqu'oraleur, payé » par l'étranger, parlait de me mettre hors la » loi, j'en ap[)el!erais à mes braves coni] agnons »> d'armes, à vous ( en se touinant du côté de >5 son étal major) , à vous, braves soldats, que (i) Trois journées célèbres dans le cours de la rcvoluliou , inais que le cours des années a dep fait oublier, et que, par cette raison , nous allons rappeler en peu de mots. Le \ ^fruc- tidor (4 septembre 1797), révo'ution qui mit la dictature entre les maius du directoire, et cand;imna à la dépottation cin- quante-trois députés , deux directeurs , trois pjénéranx et vingt- six journalistes. Le iijloréal^ le directoire, effrayé du boa esprit qui avait régné dans les corps électoraux , cassa leur ou- vrage , sous le prétexte bannal que cet oirvrage était celui du Yoyalisme. Le 3o prairial, les jacobins cassèrent à leur tour iiti directoire qui oe marchait plus sous leur drapeau. 5.. (68) » j'ai tant de fois menés à la victoire ; j'en ap- » pellerais à votre courage, mes brayes amis, et » à ma fortune. » Cet appel aux soldats , ce langage insolent , parurent des arguments sans réplique à une assemblée dont la plupart des membres étaient gagnés , et dont les autres , en très petit nom- bre, n'avaient qu'une chaleur de tête et un courage de tribune. Buonaparte sortit après leur avoir donné celte semonce, et l'assemblée se mit à causer sur son mérite, sur ses talents, sur ses projets, et sur la nécessité de se ratta- cher à lui. Pendant ce temps une autre scène se passait au conseil des Cinq-Cents. Delbrel ouvrit la séance, en demandant qu'a- vant toute délibération on renouvelât le ser- ment à la constitution. 11 espérait sans doute qu'un serment de plus enchaînerait la cons- cience de ses collègues qui s'étaient parjurés tant de fois. Sa proposition fut décrétée. Tous, hors un seul ( Bergoueng député de Bordeaux qui donna sa démission) , prêtèrent le serment requis , et se crurent dès -lors autant de héros , et d'invincibles défenseurs de cette pauvre constitution qu'ils avaient si souvent violée. Grandmaison requit ensuite qu'on s'occupât de l'examen des motifs qui avaient déterminé (69) la translation des conseils à St.-Cloud. Celait jeter de l'huile dans le feu. Le feu prit aussitôt et se communiqua avec la rapidité de l'étin- celle électrique à toutes les parties de la salle. Chacun se lève; tous se précipitent vers la tri- bune , se mêlent, se poussent, s'injurient, se menacent. Le moyen de s'entendre au milieu d'un si grand tumulte! Le tonnerre fut tombé sur la salle qu'on ne l'eût pas entendu. Lucien Buonaparte , frère du général (i), présidait l'assemblée, se préparait à la livrer, pieds et mains liés, recevait des injures, les rendait , et augmentait l'agitation en cherchant à la tempérer. Les motions incohérentes se joi- gnaient aux bravades , et les cris aux irrésolu- tions. Au travers de cet orage , arrive une dépêche de Barras, qui notifiait sa démission au con- seil , et félicitait la république d'être sauvée par le guerrier illustre auquel il avait ouvert la carrière. Cet incident imprévu accrut la (i) Lucien Buonaparte passe pour avoir plus d'esprit que son frère , mais en même temps pour une très mauvaise tête j ii a été successivement garde-magasin, députe, ministre de l'in- térieur et ambassadeur à Madrid, et montra partout un carac- t«?re brouillon , un esprit hardi , une conuiuite scandaleuse. Il est prisonnier en Angleterre. (7°) fermentation , sans inspirer aucun plan , sans fixer une seule mesure. Ces fiers républicains n'étaient pins que des vociféra leurs héiiêtés. Cependant une voix s'élève et demande que Buonaparle vienne à la barre rendre compte de sa conduite. Cette voix rallie toutes les au- tres j le projet de décret passe, et le décret est bientôt signifié au général qui semblait l'at- tendre à la porte du conseil. 11 s'avance tête nue, et seulement escorté de trois grenadiers sans armes. Sa vue réveilla et porta au plus baut degré le dévoûment de ses partisans et la fureur de ses ennemis. Tandis que les premiers, en plus petit nombre , battaient des mains de toutes leurs forces et l'encouragaient par leurs hra-^ vos , des voix nombreuses , des voix terribles criaient de tous les côtés de la salle : voilà Cromwell l voilà le tyran ! à bas le tyran! Le tyran était pâle et plus mort que vif. Il n'a ni le temps ni le pouvoir de proférer une seule parole. Son embarras et sa peur augmen- tent successivement eu entendant les cris de hors la loi, que plusieurs députés proféraient contre lui. A ces cris succède un mouvement tumultueux. Cinquante députés se précipitent autour de lui , le pressent , lé repoussent , l'un d'eux tire un poignard , égratigne innocem- (7' ) ment le grenadier le plus Toisin du général , et se perd dans la foule (i). ^ Le général à celte vue, et ne sachant pas apparemment que c'était un jeu concerté entre ses amis, recule épouvanté, sort de la salle, monte à cheval, perd la léte, et reprend au grand galop le chemin de Paris en criant de toutes ses forces : Je suis le dieu de la guerre , je suis le dieu de la guerre ; il avait Tair d'un fou furieux. Murât qui gardait le pont de St.-Cloud, le voit arriver avec élonnement , et lui demande avec effroi si tout est perdu. Sans lui répondre, mais rappelé à lui-même par ce peu de mots , Buonaparte tourne bride, revient sur ses pas , s'arrête dans la cour du château au milieu des généraux et des sol- dats dont la vue achève de le rassurer , et il ordonne au général Serrurier d'entrer au pas de charge dans la salle des Cinq-Cents, remplie de brigands, s'écrie- t-il , qui onù voulu rrC as- sassiner. (i) Il était clair que c'était un jeu. Le grenadier qai fut légè- rement égratigné dans cette occasion , se nomme Thomas Tbo- mc ; c'est un colosse de six pieds, qui , pour sa récompense , a reçu de madame Euonapartc uo beau diamant et un doux, bai- ser sur les deux joues. (72) Ces prétendus brigands continuaient cepen- dant leurs délibérations ; ayant retrouvé un peu de calme , ils venaient de décider que le généralat de Buonaparte était illégal , que le conseil des Anciens n'avait eu aucun droit ôe 3e lui conférer, et qu'on le destituait du coni- niaudement de la garde du corps législatif. Le président Lucien avait inutilement es- sayé de s'opposer à ces délibérations et à ce décret. Son rôle était fini , il abdiqua sa dignité. Au moment où il quittait sa place, les rou- lements de tambours se font entendre; les gardes prétoriennes entrent dans la salle au pas de cbarge , les spectateurs et les députés se sauvent les uns par les portes, les autres parles fenêtres. Quelques-uns embrassent la tribune et jurent que c'est le dernier asyle de la liberté. Ce dernier asyle ne les garantit de rien. Le gé- néral Buonaparte nous ordonne défaire éva- cuer la salie , crie à son tour le général Serru- rier, et dans vingt minutes la salle fut évacuée, tout avait disparu. Quatre beures après, Lucien Buonaparte rassembla quelques faibles restes de ce sénat ainsi dispersé, et leur proposa de se reconsti- tuer sous de meilleurs auspices. Pères de la -patrie^ leur dit-il, vous allez rendre à la (73) France^ m^ec une nouvelle constitution^ la -paix et le bonheur. Un médecin de Paris et un avocat de Nanci se chargèrent de développer cette idée de Lucien dans deux discours dans lesquels ils firent l'un et l'autre le procès à la constitution ffu'on venait d'enterrer, et le plus fastueux éloge de celle qui était encore à naître. Après avoir déclaré que les f^énéraux et les soldats avaient bien mérité de la patrie^ le conseil prit la résolution suivante : « Art. V^. 11 n'y a plus de directoire , et ne sont plus membres de la représentation na- tionale pour les excès et les attentais auxquels le plus grand nombre d'entre eux se sont por- tés dans la séance de ce matin , les individus ri ajjiès nonmiës : Joubert , Talot, Duplantier , Poulain - Grandpré, Goupiileau, Delbrel, Le* sage Senaull, Bordes, Bouiay Paty , Bergasse- Larizoule, Jourdau, Daubermenil, Bordas, etc., au nombre de soixante-un membres. Art. H. Le corps législatif crée provisoire- ment une commission consulaire composée des citoyens Syeyes , RogerDucos et Buona- parte; ils porteront le nom de Consuls de la répub'ique française. Al t. m. Celte commission est investie de la plénitude du pouvoir directorial , etc.... (74) Art. IV. Le corps législatif s'ajourne au 1"^. ventôse , et , avant sa séparation, nommera dans chaque conseil une commission compo- sée de vingt- cinq membres, etc. , etc., etc.. » Si l'on compare cette nouvelle scène révo- lutionnaire avec celles qui l'ont précédées , on ne voit dans sa forme qu'une répéliliou des journées du 3i mai et du i8 fructidor; cette dernière ne coûta pas plus de sang et ne ren- contra pas plus de contradiction ; mais à ces deux époques on enfreignait la constitution eu colorant cet ouvrage d'un respect hypo- crite poiu' les lois; aujourd'hui on avoue fran- chement qu'on les abolit. On n'a point séparé le procès du régime de celui des gouvernants, ni encouru le reproche d'inconséquence ; mais on n'a pu éviter ceux de violence et d'abus de pouvoir. Il fallait publier ces événements ; il fallait les arranger de manière à faire croire qu'ils étaient le résultat de la nécessité et le fondementdu bonheur public. Ce fut l'ouvrage des misérables écrlv ailleurs dont Buonaparte s'était déjà environné , et le sujet des affiches et des proclamations dont nous allons parler. (75) r CHAPITRE X. De V utilité des affiches et des proclamations. JjAYLE a pris la peine de faire une dissertation sur riitilité des fausses nouvelles. ( Article Edouard : remarque O. ) « On attribue, dit-il, à Catherine de Mé- dicis cette maxime : Quune fausse nou- velle crue pendant trois jours , pouvait affer- mir la couronne sur la tête d'un usurpa* teur (i). Les fîistoires, ajoute-t-il , sont rem- plies de Tulililé des faux biaiits. Le duc de Mayenne ayant perdu la bataille d'Ivri , ne se maintint à Paris qu'en faisant accroire aux badauds qu'il avait gagné cette bataille , et que le Navarrois y avait été tué. » Les peuples ont un merveilleux penchant (i) C'csl probablement d'après cette maxime que M. le duc de Rovigo , ministre de la police , ses premiers valcts-de-cbam- bre , ont fait courir tant de fausses nouvelles dans Paris , par le moyen des trois journaux qu ils avaient à leur disposition j et c'est ainsi que, trompant sans cesse la multitude qui les lisait, ils ont conserve, pendant une mortelle année de plus, la cou- ronne sur la tête du monstre. (76) à croire tout ce qui flatte leur opinion , et ils ressemblent eu cela à cette canaille qui se prosternait devant le cardinal légal , lequel disait, eu lui distril)uant ses bénédictions : Puisquelle veut être trompée ^ trompons-la^ » A l'exemple de Bayle, nous pourrions éga- lement faille une dissertation sur Viitllité des affiches et des proclamations ^ dont on a fait un si grand usage dans ces derniers temps , et dont on a surtout tiré un si prodigieux parti au profit de Buduaparte : nous nous contenterons d*en faiie la remarque. Lorsque tout fut terminé au palais de St.- Cloud, les conjurés , les soldats, les amis et les ennemis, tont le monde s'en revint à Paris : le soir on publia aux flambeaux une proclama- lion dans laquelle on disait à qui voulait Ten- tendre : « Que la République venait encore une fois d'échapper aux fureurs des factieux ; que les représentants du peuple avaient brisé le poignard dans les mains parricides ; que notre liberté, toute déchirée et toute sanglante, allait trouver un as} le dans les bras d'une constitu- tion pleine de sagesse \ que notre gloire mili- taire effacerait les plus gigantesques souvenirs de l'antiquité ; que le royalisme ne relèverait plus sa tête hideuse; que toutes les traces du gouvernement révolutionnaire seraient cffa^ (77) cées ; qu*une ère nouvelle enfin allait cora- menoer pour le? Français, etc. Telle est la sotte crédulité du peuple, et telle est encore la confiance des jongleurs politiques, que celte proclamation trouva des admirateurs et des néoph^ tes qui eu adoptèrent tous les points de d( gme et tous les articles de foi. Et néan- moins combien de fois nous avait -on trom- pés avec ces vaines déclamations ? Com- bien de fois n'avions-nous pas tourné en déri- sion cette liberté tant vantée, tant baffouée par tous les partis , ce royalisme à tête hi-- deuse, qui se trouve partout, et sous les éten- dards des jacobins et ^ous les aigles de leurs rivaux.. Ces poignards levés sur les représen- tants du peuple, ces mains parricides et les bras de cette constitution pleine de sagesse]... De bonne foi , un pareil style était usé ; il n'en fut pas moins admiré , non seulement de cette canaille, ^wf veut être ti'ompëe et mérite d'être- trompée , mais dans les salons dorés, où l'on commençait à mettre en question les droits de Buonaparte à la succession de Louis XVI. La veille , le ministre de la police nous avait débité les mêmes sornettes : Suivant lui , « les événements étaient préparées pour notre bon- heur et pour celui de la postérité ; tous les ré- publicains devaient être calmes , puisque leur C 78 > vœux Allaient être remplis; les faibles de- vaient se rassurer , puiscjuils étaient avec les forts, (i). ♦> Les forts! quels étaient-ils donc ces forts, chargés de rassurer les faibles? des intrigants de toutes les classes, des factieux de tous les partis , et des aventuriers de toutes les nations, à qui il en avait moins coûté pour conquérir le pouvoir souverain en France, que pour échap- per à la poursuite des beys en Egypte. H était digne de notre siècle et de nos moeurs, qu*nae Dation de vingt-cinq millions d'hommes qu'on ne cessait d'outrager depuis dix ans , tantôt par des actions de cannibales, et tantôt par des propos de Tabarin, fut assez avilie et assez méprisée pour être mise sous la protection de tels forts. Lorsqu'on daigne, de plus, nous apprendre que les événements sont enfin préparés pour notre bonheur^ qu'a-t-on voulu dire? Qu'est- ce que cela signifie de la part de ces mêmes hommes, que nous avions toujours vus dans les rangs de ceux qui ont fait notre malheur? (i) Fouchë de Nantes, alors ministre de la jiolicc , a trouvé moyen , par la sagesse de son administration , de faire oublier les torts graves de sa conduite pendant qu'il c'iait dc'pulc à la convention. C79) Le département de Paris fit aussi sa pro- clamation, daus laquelle il disait : << que le i8 brumaire n'était po'iat un jour d'alarmes, que c'était , au contraire, celui d'une restauration générale. Buouaparle , dans lequel tout citoyen! devait placer toute vsa confiance, était chargé de veiller à la sûreté du Corps -législatif, à la gloire de la république et au bonheur du genre humain. » ^u honlieur du genre humain! il faut convenir qu'il a bien rempli sa mission, et que le genre humain lui doit de grandes actions de grâces pour avoir si bien veillé à soa bonheur! f- Outre ces proclamations officielles, dans lesquelles la langue et le bon goût n'étaient pas moins outragés que la vérité , on était le maître de lire l'apologie de la révolution qui venait de s'opérer, daus d'énormes affiches qui tapis- saient tous nos murs, mais dont les auteurs avaient jugé à propos de garder l'anonyme. Dans l'une de ces affiches, on essayait de justifier par la constitution , tout ce qu'on avait fait pour la renverser. C'était un tour de force digne du plus habile escamoteur de l'Europe. On faisait dans l'autre l'histoire abrégée des sottises du Directoire et des Conseils, après quoi l'auteur (R. D. S. J. D. ) ajoutait avec son intrépidité ordinaire : Buouapai'te restau- (8o) rera celte conslitution dégradée, et fera dis- paraître le plâtras qui couvre la statue de la liberté. Ce plâtras n'était guère de bon goût et ne parut pas d'un style noble aux. jeux de la pluj^art des lecteurs. Je ne sais pas précisément si les auteurs de ces amplifications s'étaient proposés de trom- per le peuple sur les événements de St.-Cloud , ou s'ils étaient trompés eux-mêmes; il est au moins certain qu'ils comptaient bien attirer sur eux les regards et les bienfaits du nouveau maître qu'ils venaient de se donner : et en cela ils ne se trompèrent pas. Ils furent tous récom- pensés avec magnificence; les uns avec de l'argent, les autres avec des places. (8. ) CHAPITRE XI. • Suite du 18 brumaire. On arrêta quelques jacobins pour la forme, qu'on relâcha le lendemain sans clifficullë. On en proscrivit une cinquantaine sans motif, et on les rappela trois jours a])rès sans condition. La raison de ces variations était facile à saisir. Les vainqueurs, anciens jacobins eux- mêmes, ne virent plus dans les vaincus que des camarades malheureux auxquels ils vouiureut bien tendre une main secourable. On s'attendait à Paris à beaucoup de clian- î^ements importants , qui n'eurent pas lieu, ou qui n'eurent lieu que long-temps après; parce que les faiseurs eurent peur de leur ombre, et de ce qu'ils appelaient la réaction. Les parisiens, toujours crédules et toujours trompés, avaient espéré, sur la parole des jour- naux, des affiches et des proclamations, qu'ils allaient goûter les fruits de la paix, de Tabon- dauce et de la liberté : quelques - uns d'eux eurent même la hardiesse de solliciter l'ac- complissement de ces pronjcsses. On leur ré- pondit avec une fioidc ironie : vous êtes appa- 6 («2 ) remment de la faction des impatients. Et ce mol devint la coMsii^ne de tous les ministèi es. Les piu.Miuers jours qui siiivii eut le i8 forent des jours d'aliégresse dans les déparlemenls, où les agents du directoire avaient porté la tyrannie aussi loin qu'elle pouvait aller. Cha- cun releva la tète d'assez fconnegrAce, oublia Je passé de bon coeur, et crut voir s'ouvrir devant lui une nouvelle et riante perspective de bonheur. Cette illusion ne fut pas de longue durée. A Paris, comme dans les départements, les royalistes pensèrent un moment que leur idole allait se relever sur les ruines du directoire. Dans les départements, comme à Paris, les républicains se mirent en tête que decesiHiines, rassemblées par une main savante, allait s'éle- ver un édifice plus solide et plus majestueux que le premier. . . ils se trompèrent les uns et les autres. Entre les nns et les autres, se trouvèrent des hommes, et en grand nombre, qui ne tenaient pas plus à la république qii'à la monarchie; mais qui savaient très bien en prendre le lan- gage et la livrée , suivant l'occasion ; arrivaient par ce moyen, soit aux. places, soil à la for- lune, éternels objets de leurs méditations et de leurs travaux. (8.5) Le public clemaDclait le rapport tle toutes les lois révoliilionnaires, et il avait d'antaut plus de raison d'y compter, que tous les échos du gouvernemeut ne cessaient de lui répéter que la révolution était Jinie. Parmi ces lois, celle du 18 fructidor qui proscrivait tant d'innocentes victimes, était vivement et unanimement réclamée. Ce fut eu vain. On remit à d'autres temps l'examen d'une cause qui n'était plus équivoque pour personne, et on répondait à ceux qui s'indi- gnaient de ces lenteurs et de ces délais : vous êtes de la faction des impatients. Cependant Lafayette, Latour-Maubourg, Yalence, Liancourt, les Lameth, etc., ren- traient paisiblement en France , et venaient eux-mêmes solliciter leur radiation : on eii concluait que tous les émigrés, ayant un droit égal à leur rentrée, l'obtiendraient avec une égale facilité; et l'on avait tort. On rendait la liberté à quelques prêtres as- sermentés, et la parole à un petit nombre d'écrivains bâillonnés par le directoire, et l'on en concluait que la liberté des cultes et celle de la presse allaient obtenir une garantie suf- fisante; et Ton avait tort. On croyait que les pauvres rentiers que la constitution de l'an 3 avait dépouillés des trois 6.. (84) quaris de leurs rentes, et qui ëlaient fort mal payés de Taiitre quart, seraient mieux traités, et peut-être payés de tout ce qui leur était du; et l'on avait tort. On célébrait sur tous les théâtres les vertus extraordinaires de Bnonaparte (i), on annon- çait dans tous les journaux le retour des idées libérales, on voyait apparaître sur la liste des hommes en place le nom de quelques hommes qui n'étaient ni sans talent, ni sans probité, et l'on en concluait que le règne des sols, des fripons^ des tyrans et des tartuffes était passé; et Ton avait encore très «rand tort. Mais de tous les torts le plus grave et le plus impardonnable de la part de la nation , fut d'a- voir cru à un gouvernement conslilutiomiel, lorsqu'on lui donnait évidemment un gouver- nement militaire. Tout avait été militaire dans cette révolu- tion : quoique le chef des conjurés eut paru re- cevoir l'impulsion, c'était lui qui l'avait donnée. 11 avait déjà le bâton du commandement , lors- (i) On dannaiten même temps aux Italiens : les Mariniers de St.-Cloud; aux Troubadours: la Pèche aux Jacobins; au Vaudeville : la Girouette de St.- Cloud ; à l'Ambigu-Co- miquc : la Journée de St.-Cloud; au théâtre des Victoires: le 19 Brumaire; au tlicâlrc Molière : les Projets à vau- VêOU , Ct6. (85) qu'on le pria de raccepter. Les généraux de la république avaient été ses adjudants, les sol- dats de l'état les exécuteurs de ses ordres, la salle des Anciens sa chancellerie , celle des Cinq Cents son champ de bataille. L'opération, le langage et les acteurs, tout avait été guerrier: tout annonçait, tout niani- feslait les intentions de guerre que cherchaient en vain à pallier les proclamations, les affiches , les journaux et les poètes des boulevards. Buonaparte affectait de porter l'uniforme militaire. Il n'estimait que la profession mili- taire ; il parlait déjà de faire de la France un camp, et de tous les français des soldats. Com- ment pouvait-on s'y tromper? Comment ne vit- on pas que la constitution , qu'il nous promet- tait , n'était qu'un voile destiné à couvrir l'ex- cès de ses usurpations, et la plus monstrueuse tyrannie qui ait jamais existé. (86) CHAPITRE XII. De Vahiis des constitutions politiques é Ils ont tant fait que nous n avons plus de constitution^ tel était le titre d'une afiiche qui parut alors, et qu'on lut avec quelque inlérêt, parce qu'elle offrait quelques idées nouvelles; et tel fut aussi le sujet de quelques-unes de nos méditations qui ne paraîtront peut être pas dé- placées ici (i). Dans l'espace de dix-huit ans nous avons vu naître et mourir quatre constitutions , sans compter les avorton?. Chacune d'elles parut escortée de l'appareil brillant et mensonger de la liberté , de l'égalité et du bonheur commun ; chacune d'elles fut accueillie par l'enthousias- me , de tous les sentiments le moins propre à la situation d'un peuple qui se donne une charte (i ) Quelques unes des reflexions qu'on va lire ont dcjà paru dans un journal inlitulc le Diplomate, qui f;iisait suite au Cen^ seur y et que rédigeait , sous le voile de l'anonyme, l'auteur de cet écrit , alors proscrit et condamne à mort , mais cache <2- leuretle génie ^ diront s'il le faut , et qiiand le temj s viendra, au successeur légitime de l'iu- forluné Louis XVI , qu''ils sont ses plus fidèles et ses plus dévoués serviteurs. Comment le nouveau roi pourrait il croire à de si grossières adulations? Comment pour- rait-il accorder sa conhance à des homiies qui ont trompé la confiance de tous ceux qui ont bien voulu leur en accorder? Non, non , il repoussera , au contraire , avec indignation des hommages aussi bas et aussi intéressés? 11 les repoussera sans doute, mais il est à craindre que le juste mépris, dont il punira leur odieuse versatilité , ne rejaillisse jusque 7- ( 100 ) sui les lettres dont ils ont fait un si étrange abus* Et cependant on ne saurait douter que les lettres ne soient en elles-mêmes très bonnes et très respectables ; qu'elles furent l'objet des égards de tous grands princes, que François I". s'honora du titre de pèî'e des lettres ; que Louis XIV les protégea de tout son pouvoir et les encouragea par de magnifiques récompenses. Ou ne doute pas davantage qu'elles ne con- tribuent à la prospérité des empires; qu'elles ne fournissent tout à la fois un objet précieux de commerce, un moyen de perfectionner les moeurs , et un instrument propre à maîtriser les esprits égarés par tant de séductions, et à ra- mener les coeurs aigris par tant de calamités. Si , à tant de titres , elles ont toujours été placées au premier rang de l'industrie humaine, il est bien désirable qu'on ne les croie pas dégradées par l'avilissement des écrivains qui prennent le tiire de gens de lettres ^ comme les laquais prennent à l'office les litres de leurs maîtres. ( loi ) CHAPITRE XV. Evénements qui suivirent l'élévation du pre- mier consuL On agita dans le conseil si la nouvelle cons- titution serait ou non soumise à l'acceptatioa du peuple, réuni en assemblées primaires. Le souvenir récent des assemblées de l'an 3, fit re- jeter ce mode d'acceptation , et on lui préféra celui d'ouvrir des registres obscurs, dans les- quels chacun devait aller déposer sou nom et son suffrage, que le gouvernement serait toujours maître de vérifier et d'arranger à son gré. En effet , un des secrétaires du ministre de l'intérieur fut chargé de dépouiller ces regis- tres, et de s'arranger de manière qu'aucune des constitutions précédentes n'offrît en sa fa- veur une plus imposante masse de suffrages. Vi éleva ces suffrages à trois millions cinq cents votes, c'est-à dire à peu près à la totalité dô ceux qui savaient écrire sur toute la surface de la France. Le nombre des refus était de quinze cent soixante-deux. On eut soin de mettre à côté de ce tableau , évidemment iva.^ posteur, celui des voles auxquels les conslila- ( '02 ) lions précédentes avaient été soumises ; savoir : La constitutltion de 1791 ne fut point ac- ceptée nominativement. Celle de 1798 eut 1,800,918 votes en sa fa- veur, et 11,610 votes contraires. Celle de 1796 : 1,057,890 votes pour, et 49,977 contre. On sait que de pareils comptes ne sont bous qu'aulant qu'ils sont ré^^lés conlradicloirement. lit qui a-t-on appelé pour régler ceux-ci ? Le comptable seul les a faits , réi^lés et arrêtés. On ferait pendre Tintendant d'un particulier qui se conduirait avec son maître, comme Buona- parte se conduisit alors avec la nation. Les journaux annoncèrent gravcmenj; que ]a constitution avait été librement, solennelle- ment et unanimement acceptée. Les familiers célébrèrent la supériorité de ses vues actuelles, l'immensité de ses bienfaits futurs, et la géné- rosité de ses auteurs. Les auteurs la mirent en activité le jour de Noël, c'est-à-dire que, ce jour-là , les fonctionnaires publics établis par elle entrèrent dans Texercice de leurs fonc- tions. Les principaux fonctionnaires publics étaient : ( io3) Un premier consul aux appointenients de 5oo,ooo francs. Deux aulres consuls aux appointements (le i5o,ooo fr. chacun. 36 Conseillers d'état à. . . . 25,ooofr. 80 Sénateurs à 36,ooo 100 Tribuns à . i5,ooo 3oo Législateurs à 10,000 Les âmes dévotes crurent apercevoir dans la coïncidence de la mise en activité de la cons- titution et du jour de Noël, un augure favora- ble au rétablissement de la religion, et cet au- gure parut se confirmer lorsqu'elles lurent Tarrélé des consuls qui ordonnait d'élever un monument public à la mémoire de l'infortuné Pie VI, que l'ancien directoire avait fait mou- rir dans les angoisses d'une longue persécu- tion. Mais c'était une illusion que le gouverne- ment prit soin lui-même de dissiper par la note suivante qu'il fit insérer peu de joints après dans son journal officiel. « La liberté de conscience est à peine dé- crétée, que les prêtres cherchent à soulever l'immense bétail des fanatiques, maudisscot la main qui a voulu les soulager, renversent les attributs républicains , abattent les arbres de la liberté, et signalent en lettres de saug^ ( Ï04 ) leur affreuse devise : Religion catholique et royauté. » Certes, un pareil style et une telle note n'an- nonçaient pas riutentlon de rétablir ni le trône ni les autels. Le ministre de la police écrivit de son cote aux administrations départementales : « Faire rentrer quelques prêtres déportés , fut un acte de morale et d'humanité. Le gou- vernemenl a voulu consacrer la liberté des opi- nions religieuses, mais non la résurrection du fanatisme; ramener parmi le [)euple des pré- cepteurs d'une morale antique et révérée, mais non des réacteurs sanguinaires et des vengeurs supersiilieux. La liberté des cultes est l'ouvrage de la philosophie et de la politique^ l'intolé- rance des sectes religieuses est celui de l'igno- rance et du crime. Le gouvernement veut que tous les cultes soient libres et qu'aucun ne soit dominant ; la nature entière atteste que c'est aussi le vœu de son auteur: si le despo- tisme a besoin d'une religion exclusive, la ré- publique demande des religions hospitalières ; le Ciel ne veut pas qu'on trouble la terre pour l'honorer. » S'il était encore nécessaire de démontrer l'inhiguifiance et l'abus de tous ces grands mots ^ç, fanatisme j de superstition,^ in tolô" ( '°5) rfiJice et de réacteurs ^ combien cela nous se- rait facile en décomposant ce dernier discours et en a|>plicjuaut ses maximes au j^ouverne- meot politique de Buouaparte ! mais ce serait aujourd'hui prendre une peine inutile , et nous ne dirions que ce que tout le monde sait. Ce qne nous devons remarquer, c'est que les royalistes et les catholiques qui s'attendaient au moins à quelque relâche sous le nouveau î^ouvernement , s'aperçurent alors de leur er- reur. Nous étions destinés avec cet homme à de- venir continuellement le jouet des fausses es- pérances. Sa conduite était toujours en oppo- sitiou avec ses paroles; il fondait insensible- inent sa tyrannie sur notre crédulité. Il rédui- sait l'oppression en système; il pervertissait les moeurs, les opinions et les lumières. Tour à tour soutenu par la force et par la séduction, il étendait rapidement sa doctrine perverse par le moyen des journaux et des arrêtés raisonnes de ses ministres ; il couvrait successivement toutes les parties de l'administration d'un voile mystérieux et impénétrahle. Il semblait avoir pris possession de nous comme d'un vil trou- peau, et nous faire t^râce de tout ce qu'il ne nous enlevait pas, après nous avoir promis la liberté, le repos et le bonheur, ( 'o6 ) II écrivil au roi frAugletcrre pour lui noti- fier son élévation et lui demander la paix. Le ton de sa lettre était modéré, mais le style prétait au ridicule, les Anglais prirent la liberté d'en rire. Lord Grenviile répondit au nom du roi que V Angle ten^e consentirait à faire la paix avec la France quand elle ver- rait dans son gouvernement une stabilité qui la lui garantirait. Assurément celte réponse était sage et convenable, mais elle piqua vive- ment l'amour-propre du premier consul , qui n'eut pas assez d'esprit pour dissinmier son dé- pit, et fit écrire dans les journaux que cette réponse était le cri délirant d'un sati^apc guelphe. Le tribunat osa manifester une ombre d'op- position j il fut vertement tancé et réprimé. Quelques journaux s'avisèrent de discuter des points de doctrine politique , ils furent supprimés. Buonaparte n'était pas assez fort pour supporter l'épreuve de la censure ; les petits hommes ont toujours redouté les petits écrits. Un objet plus grave occupa bientôt l'atten- tion publique, ce fut la guerre des chouans. Buonaparte qui voulait la faire à l'Europe, crut devoir ne rien laisser derrière lui qui pût l'inquiéter dans ses projets d'ambition. La Brc- C J07 ) tagne et TAnjou étaient depnis long-lemps le théâtre d'une guerre civile. Des hommes in- dociles au joug de nos tyrans populaires , avaient levé rétendard de l'insurrection , et se baltaient tous les jours contre les faibles déta- chements de troupes qu'on envoyait contre eui. Pour mettre fin à cette guerre destruc- tive, Buonaparte envoya en Anjou le général Brune à la léte de soixante mille hommes, avec le pouvoir de négocier et de combattre comme il voudiait. Brune réussit. Il combattit et né- gocia tour à tour. Il jeta la division parmi les Chouans, corrompit leurs chefs,. désarma les partisans, fusilla les plus mutins, dispersa les aventuriers, intimida les propriétaires ; bref , en deux mois d'hiver il termina une guerre qui s'était annoncée avec des symptômes alarmants pour le ni uveau gouvernement. MM. d'Autichamp, de Scépeaux, de Bour- mont et Bernier, reçurent du premier consul l'invitation de venir à Paris, cédèrent à cette invitation, apprirent qu'on ne tenait aucune des con lilions du traité qu'on avait fait avec eux , s*eu plaignirent et furent arrêtés. M. de Frotté se rendit , et fut fusillé. Tranquille de ce côté-là, il se prépara à (io8) porter la guerre au dehors, et commença par rassembler à Dijon uue armée d'observation ; il sentait que la paix, le tuait de toutes manières, il avait besoin de la guerre pour retremper son autorité» ( 109 ) CHAPITRE XVI. Les inécontentements s annoncent. Il devenait plus clair de jour en jour que cet homme était au-dessous de son rôle. Le parti de l'opposition se formait en silence : républi- cains, modérés, jacobins et royalistes suppor- taient son joug avec une égale impatience ; le tyran n'ignorait rien de ce qui se passait et de ce qui se disait contre lui dans les plus se- crets conciliabules de ses ennemis. Il avait à ses ordres une armée d'espions qui le servait fidèlement, parce qu'il la payait magnifique- ment. Un ancien journaliste exerçait à Paris l'ignoble métier de commander cette armée ; il avait pour lieutenants des militaires desti- tués, des gens de lettres déshonorés, des avo- cats, d'anciens nobles dont on ne se défiait nullement, et dont on ne pouvait se déHer ni dans la société des honnêtes gens, ni dans les conciliabulesdesmecontents.il savait parleurs rapports qu'il n'était aimé nulle part, et qu'il avait des ennemis dans le conseil d'état, dans le sénat , dans le corps législatif et jusque ( IIO) parmi ceux, qui lui faisaient la cour la plu^ assidue. Son propre frère Lucien Buonaparle, mi- nistre de l'intérieur, ne carhait pas son mé- contentement ; des conseillers d'état avaient tenu des propos indiscrets ; des ex-conven- iionnels reprenaient leurs anciennes allures jacobiuesj des sénateurs s'éloignaient du châ- teau j une dame célèbre par son esprit lançait contre lui des épigrammes qui étaient répé- tées dans les salons. On colportait des carica- tures et des calenibourgs où la gaîté française se dédommageait de la contrainte qu'on lui im- posait.... Il serait trop long de rappeler ici le nom des principaux n»écontents ; il les con- naissait; il vit eu eux tous les fiançais; il fut convaincu qu'il était généralement baï : il l'é- solut dès-lors de se faire craindre, et il dit, comme Domitien, oderlnb dàm meCiiant. Mais pour se faire craindre, il avait l>esoin de la guerre; il lui fallait des soldats : il résolut de faire une guerre à outrance , il leva des soldats de tous côtés, il forma des armées immenses, et mit la France en coupe réglée. La guerre durait depuis huit ans; le sang de plus d'un million d'hommes avait déjà coulé, mais qu'est-ce que le sang d'un nullion , de deux millions , de trois millions d'hommes lui ( I" ) coûtait à répandre, lorsqu'il s'agissait de s'af- fermir sur le trône » lorsqu'il pouvait y noyer le germe des insurrections qu'il craignait, lors- qu'il espérait écarter , confondre ou écraser ses rivaux et ses ennemis ? Avec la guerre , d'ailleurs, il acquérait les moyens de la faire et de l'éterniser. Le vol , le pillage , les exactions, les contributions mili- taires souriaient à son ambition autant et plus que la gloire du conquérant. Il a voulu con- quérir l'Europe pour la piller , et il l'a pillée pour nous asservir. La guerre fut donc déclarée à l'Autriche; mais avant d'aller prendre le commandement de son armée, il résolut d'aller prendre pos- session du palais des Tuileries. ( "O CHAPITRE XVII. // prend possession des Tuileries. J_jE directoire était ïoi^é au Luxembourg , de- puis sou iiistallaliou. Ce palais magnifique parut trop petit au premier cousiil ; il fit nienbier les Tuileries, aunouça qu'il irait s'y établir; et voulut donuer à cette translation un air de cérémonie qui n'était pas sans dessein. En allant prendre possession du palais de nos rois, il n'était pas difficile de deviner qu'il en prendrait bientôt le titre. 11 commença même par en surpasser ia magnificence. Le 21 fé- vrier 1800, il sortit du Luxembourg dans un carrosse traîné par six chevaux blancs, escorté de \ingt six autres carrosses , précédé par cent cinquante musiciens , et entouré par deux nulle liommes de garde. L'or et l'argent brillaient sur les carrosses, sur les housses des chevaux, sur les babils des gardes. C'était un spectacle nouveau pour le peuple, depuis la clnite du trône , et cependant le peuple n'en fut pas très émerveillé; il parut le considérer avec plus (1.3) d'élonuement que d'admiration ; malgré tous l-es efforts de la police, pour l'émouvoir et l'en- gager à crier vive Buonaparte , il resta froid et silencieux : ce qui gâta beaucoup le prix du triomphe aux yeux du triomphateur ; mais ce qui aurait dû en même temps lui faire faire un retour sur lui-même et sur le passé, ne fit que l'irriter. Ce fut de ce palais que le meilleur et le plus infortuné des monarques, fut arraché, conduit au Temple, et de-là à l'écliafaud, et par qui? par une partie des hommes qui escortaient le nouveau Cromvvell dans sa marche triomphale. Ce fut de ce palais que l'infâme Piobespierre sortit pour aller au Champ-de-Mars offrir à rÉtre-Supréme des voeux qui ne furent pas exaucés, et à quelle époque? alors que, se croyant à l'apogée de sa puissance , il avait, en effet, un pied dans l'abîme qui le dévora six semaines après.... Ce fut encore de ce palais que fut donné l'affreux signal de mort contre les sections de Paris , et que partit la foudre qui les écrasa; et qui la dirigea ? celui-là même qui , dans son fol orgueil , se croyait digne de l'occuper , et alla s'y installer au milieu des mânes plaintives de ceux qui avaient péri le lo août et le i3 vendé- miaire. ("4) Le peuple , sans doute , ne faisait pas toutes ces réflexions, mais le silence obstiné qu'il garda ce jour-là aurait du les rappeler au sou- Tcnir de Tusurpateur , et le rendre plus mo- deste. FIN DE LA PREMIERE PARTIE- TABLE DES CHAPITRES. PPage RÉFACE 6 Chap. P"". Agonie de la république . ... ir Chap. II. Les jacobins essayent de ré- tablir le gouvernement révo- lutionnaire 14 Chap. m. Retour de Buonaparte., . . , . 2.2 Chap. IV. Histoire de Buonaparte 25 Chap. Y. Des partis qui divisaient la France en 1798 35 Chap. VI. Suite de l'histoire de Buona- parte 89 Chap. VII. Une nouvelle révolution était inévitable 48 Chap.VIII. Révolution du 18 brumaire (^^ novembre 1799 )• Première journée 56 C h A P. IX. Conspiration du 1 8 brumaire. Deuxième journée 65 Chap. X. De l'utilité des affiches et des proclamations 75 Chap. XI. Suite du 18 brumaire 81 Chap, XII. DeV abus des constitutions po- litiques 86 (ii6) CiiAP. XIII. Première constitution de Buonaparte gi Chap. XIV. De la bassesse de quelques écrivains gy Chap. XV. événements qui suivirent l'élévation du premier con- sul 10 1 Chap. XVI. L^es mécontentements s'' an- noncent 109 Cn A p. XVII. Il prend possession des Tui- leries 112 FIN DE LA TABLE. HISTOIRE DU DIX-HUIT BRUMAIRE ET DE BUONAPARTE, SUIVIE DE PIÈCES JUSTIFICATIVES. SECONDE PARTIE. 1 HISTOIRE DU DIX^HUIT BRUMAIRE ET DE BUONAPARTE, SUIVIE DE PIÈCES JUSTIFICATIVES. PAR M. GALLAIS, AUTEUR DU DIX-HUIT FRUCTIDOR ET DE l'apPEL A LA POSTERITE', SUR LE JUGEME^T DU ROI. Et datum est ilU bellum facere cum sanctis, et vincerc eos : et datum est illi os loquens rnagna et blasphe- jnias : et data est illi potestas in omnem triburn , et populum etlinguametgentem. (ApoCALiPS.,cap. i3.7 SECONDE PARTIE. A PARIS, CHEZ L. G. MICHAUD, IMPRIMEUR DU ROI, llUC DES BONS-ENFANTS, K°. 34» il. DCCC. XIV. PRÉFACE EN FORME DE DIALOGUE ENTRE M. R.... ET L'AUTEUR. M. R. . . . J'ai trois reproches à vous faire : vous paraissez trop animé contre le ci-devant empereur j vous avez blâmé des hommes qui ne sont point soumis à votre tribu- nal ^ et vous n'avez fait qu'un ouvrage de parti. l'auteur. Il est possible que mon ouvrage n'ait pas été agréable à votre parti; et c'est une preuve que, fidèle au mien, j'ai touché le but. Mon tribunal , comme le vôtre , est celui de l'opinion publique, dont je ne fus j8 B7'u7n. 2*. p. ^ (O que l'interprète en blâmant les hommes que vous défendez. Quant au ci-devant empereur, je ne suis pas si animé contre lui , que je ne voie très bien les motifs se- crets des reproches que vous faites à mon livre , et de M. R. . . . Mais de quel droit, monsieur, parlez- vous avec une inconsidération scanda- leuse, d'hommes à qui vous devez des égards ? l'auteur. Me permettrez - vous , à mon tour , de vous demander , monsieur, à quels titres ces hommes ont droit à mes égards? M. R. . . . Es occupèrent des places éminentes, et ils sont malheureux. l'auteur. S'ils occupèrent des places éminentes , (3) ils en ont touché les émoluments : c'était l'objet principal de leur ambition \ c'est toute la récompense qu'ils en doivent at- tendre. S'ils sont malheureux, je n'ai point oublié qu'ils en ont fait bien d'autres ; qu'ils furent insolents dans leur prospé- rité; qu'ils n'ont jamais obtenu l'estime publique ; ils ne méritent aucune pitié. M. R. . . . La société deviendrait un repaire sau- vage, si chacun s'avisait , à votre exemple, de manifester ses ressentiments personnels, et d'injurier son ennemi vaincu. l'auteur. Je vous répète, monsieur, que je n'ai pas d'autres ennemis que ceux de mon pays et de mon roi, et qu'il n'y a pas plus d'in- jures dans mon style , que de ressentiments dans mon ame. (4) M. R. . . . Vous n'igiaorez pas, monsieur, le peu de confiance qu'on accorde aux histoires contemporaines. l'auteur. Elles n'en méritent aucune, quand elles sont écrites sous la dictée des passions , quand elles M. R.... Vous venez de prononcer l'arrêt de la vôtre. l'auteur. Oui, si vous aviez prouvé l'inculpation. M. R. . . . La preuve résulte du fait : vous n'ai- mez point, vous n'avez jamais aimé Buo- naparte; vous n'avez pu le juger de sang froid, vous avez écrit son histoire en ennemi. (5) L AUTEUR. Non pas en ennemi de sa personne , que je ne connais pas, et que je n'ai jamais vue que de loin. Il ne m'a fait, à moi, ni bien ni mal ; mais il en a tant fait à mon pays, il en a tant fait à l'humanité, qu'il m'est impossible d'en parler avec indiffé- rence. J'ai mis parfois de la chaleur dans mon style, parce que j'ai souvent ressenti une haine vigoureuse et une vive indigna- tion contre ses cruautés , contre ses criantes injustices, contre sa dissimulation profonde, contre son ambition démesu- rée , contre tous ses crimes. Auriez-vous désiré que j'eusse parlé de sang froid de la guerre d'Espagne, des désastres de Mos- cow , du procès de Moreau , de l'assassinat du duc d'Enghien ? cela n'était pas possible : un historien apathique me semble un bomme dénaturé... (6) M. 11.... J'aurais voulu , monsieur , que vous eussiez attendu que le temps eût passé son éponge sur les événements dont vous par- lez , avant d'en publier le récit. l'auteur. Le récit des grands événements con- temporains a sans doute cet inconvénient , qu'il est souvent passionné, et presque tou- jours marqué d'un esprit de parti; que l'écri- vain se laisse trop souvent él^louir par les talents, les exploits et les qualités bril- lantes des acteurs , ou prévenir par des haines injustes, des bruits calomnieux et des apparences trompeuses ; mais il a aussi cet avantage , qvi'il est plus empreint des couleurs du temps , qu'il peint mieux les physionomies , qu'il saisit les caractères avec plus de vérité; et si l'écrivain n'est dépourvu ni d'instruction ni de sagacité y (7) si à ces qualités il joint la bonne foi , l'amour de son pays , la haine du crime et des mé- chants , son ouvrage ne sera pas pour cela , exempt d'erreurs ou d'une sorte de partia- lité, mais il servira, par la suite, de guide aux historiens désintéressés , de garantie de leur bonne foi et de preuve justificative de leurs récits. Tel est mon but, monsieur; telle est toute mon ambition. Je n'ai pas la vaine prétention d'obtenir tous les suffrages ; mais, si j'ai mérité ceux des Français atta- chés à l'ancienne monarchie et dévoués à la cause du roi , je suis satisfait , je ne demande pas d'autre récompense. fc^« ^^w*/*/^^^/*-*^^/*'^'»^ HISTOIRE ■DU DIX-HUIT BRUMAIRE. ET DE BUONAPARTE. CHAPITRE I". Comment sous le gouverneTnenb de Buona- parte la guerre devait durer autant que lui» IJepuis huit ans la guerre embrasait l'Eu- rope. La cause qui la perpétuait et les maux qu'elle enlraînait étaient rejetés par les ié[ u- blicains français sur le compte de l'Au^le- teiTC, et par l'Angleterre sur celai du gouver- nement l'épublicain, ou plutôt sur le carac- tère même de notre révolution, qui avait ex- cité toutes les passions, réveillé tous les cou- rages et brisé tous les lœns sociaux. Nous faisions une miCTre de barbares avec tous les arts nés de la civilisation. IXos levées en masse , nos armées innombrables , leur niar- cbe tumultueuse et désordonnée avaient re- nouvelé,àlafiaclu dix-huitième siècle, le spec- tacle effrayant de ces débordements d'hommes qui, dans le cinquième siècle de notre ère, dévastèrent le Bas - Empire , bouleversèrent l'Europe, et firent frémir l'humanité. Des ouvriers sortis de leurs ateliers, des paysans échappés de leur village avec un bon- net sur la tête et un bâton à la main, devenaient, au bout de six mois , des soldats intrépides , et au bout de deux ans, des officiers aguerris et des généraux redoutables aux plus anciens gé- néraux de l'Europe. Lorsqu'une grande nation composée toute entière de tels hommes est une fois en mou- vement, lorsque par un de ces événements ter- ribles, et heureusement très rares dans le cours des siècles, elle a rompu tous les liens qui l'at- tachaient au repos, à l'honneur, à son souve- rain , la guerre devient un premier besoin pour elle et un fléau toujours imminent pour ses voisins (i}. (i) Dès le seizième siècle, Barclay avait fort bien dessine le caraclcre des Français sous le rapport militaire. « C'est une na- tion , dit-il , supc'rieurcmcnt brave , cl présentant chez elle une masse invincible , mais lorsqu'elle se dcboidc, elle n'est plus la même ; de-là vient qu'elle n'a jamais pu retenir l'empire sur les peuples étrangers, et quelle n'est puissante que pour soy malheur. » ( Barclàius , in Icône animoram. ) (7) Les courts intervalles de paix n'étaient ([iie des suspensions d'hostilités, et ne devaient être employés qu'à aiguiser de nouvelles armes , qu'à lever de nouvelles troupes, qu'à méditer de nouvelles conquêtes. Le comité de salut public, le directoire et Buouaparte sortis de la même souche ont dû se conduire par les mêmes principes , et se laisser entraîner par le même torrent. Les uns et les autres ne pouvaient vivre que de guerre , parce que la guerre seule couvrait le vice de leur origine, les fautes de leur ad- ministration, et noyait dans le sang les re- mords de leur conscience. La paix les mettait à découvert, elles exposait nus à tpus les re- gards comme à tous les coups. II3 devaient donc faire la guerre. Avaient-ils renversé une puissance voisine ? ils redoutaient celle oui la touchait. De proche en proche leur fureur ^soupçonneuse et leur craintive politique enveloppaient les deux Mondes. Eux qui n'avaient jamais rien pardonné, ils ne concevaient pas qu'on pût leur pardonner des attentats qu'ils éternisaient. La gueri'e ne pouvait leur faire d'alliés que parmi leurs semblables. Il fallait donc géné- raliser les crimes et s'entourer d'usurpateurs (8) pour légitimer rusurpation dont ils étaient coupables. Buonaparle, on n'en saurait douter, avait fait ce calcul et ce raisonnement. Toutle monde se souvient du propos qu'il tint alors : Avant dioc ans cVici je serai le chef de la plus an- cienne dynastie de l'Europe. Déjà plus de trente souverains avpient bri- gué son alliance j déjà l'Autriche elle - même avait consenti à recevoir de ses mains le pré- sent funeste de la république de Venise ren- versée et saccagée par ses soldats. Mais ce qui rassurait nos esprits, c'est qu'il existait encore deux grandes puissances qui n'avaient ni fléchi sous ses armes, ni pris con- fiance en ses traités. Autour de ces deux puis- sances les états chancelants pouvaient se rallier encore ; elles pouvaient servir à la fois d& guide, de consolation et de centre à quicon- que ne voudrait pas se soumettre au joug de l'usurpateur. L'une presque inaccessible par son éloignement et ses forces militaires, l'autre presque invulnérable derrière sesremparts ma- ritimes, encore intacte dans tous ses établisse- ments, moins fière de son opulence que de l'emploi qu'elle eu savait faire , redoublant d'énergie à mesure que les courages mollis- Saient ailleurs, et défendue par le Irlple bou- clitT de la puissance, des lumières et de TespriK public (i). Tant que la France ne parviendrait pas à subjuguer l'Angleterre et la Pvussie, l'indépen- dance des autres états de l'Europe conservait toujours deux ancres sur lesquels leur résis- tance pouvait se former et s'affermir. L'Angleterre fidèle à ses principes avait déjà fait sentir au cabinet d'Autriclie que le traité de Campo Formio n'était qu'une honteuse col- lusion et une transaction d'autant plus humi" liante pour lui , qu'elle l'avait dépouillé d'una partie très réelle de ses états pour des indemni- tés illusoires. De son côté le premier consul, qui regrettait toujours ses conquêtes d'Italie, ne songeait qu'à les ressaisir, et emy>loyait à cet effet les pam- phlets, les insinuations, lespromesseis et tous les genres de corruption, dont il avait fait une élude approfondie. Des agents envoyés par lui à Gènes, à Milan, à Florence, à Turin ne ces- saient d'exciter les gouverneurs à la guerre contre les Français, et les peuples à la révolte contre leiu^ gouvernement. Chaque jour on im- (i) Le camp de Boulogne en i8o4 , et la campagne de Mos- cou cil \Qii , ont Biis ces deux vcrilés au gvandionr. ( ,o) primait dans le Moniteur un manifeste rem- pli d'injures contre l'Autriche; chaque jour ou faisait partir pour l'Italie tantôt des bro- chures incendiaires , dans lesquelles on pei- gnaii TAuti iche comme un vautour altéré de sang, et tanlôt des chansons, dans lesquelles on la représentait comme expirante et prête à tomber dans l'abîn.e que son ambition avait creusé sous ses pas. Les peuples d'Italie sont plus souples, mais beaucoup moins crédules que celui de Paris. Us savent prendre leur parti devant la force qui e;i.ige leur soumission , mais ils refusent nettement de croire à l'imposteur qui leur débite des absurdités. 11 leur parut absurde que les français encore teints du sang qu'ils avaient versé à Milan, à Pavie, à Lugano, etc., et chargés des dépouilles qu'ils avaient extorquées par les moyens les plus violents, leur j réchassent de Paris une doctrine de modération qu'ils n'avaient jamais mise ea pratique, et rejetassent sur l'Autriche, les vols,, les. massacres, les emprunts forcés, le pillage, dont ils s'étaient rendus coupables pendant les trois années qu'ils a\ aient gou- verné militairement TUalie (i). Us s'en souve- — =— (i) On trouve dans le Mercure britannique , N". X, un re- levé' fort étendu , et qu'on assure authentique , des sommes que (") liaient, et rAutriclie accusée par Biiouapavle fut acquittée par eux. La iTuerre n'en fut pas moins déclarée, ou , pour parler comme i'iiisloire , la guerre continua avec plus d'ardeur que jamais. Mo- reau qui avait déjà passé le Rhin , reçut ordre d'aller combattre le prince Charles : et Buona- parte partit de Paris le i5 floréal an YIlI,à trois heures du matin, pour aller se mettre à la tête de l'armée de réserve , qui marchait à grands pas vers Filalie. les Français ont enlevées d'Italie pendant trois ans. (Voyer les Pièces justificatives , N''. I, ) ( 12) CIIAPITIIE II. CcQjipagne du premier consul en Italie ; Bataille de Alarengo^ L'armée anlrichienne , sons le commande- ment du feld - maréchal , M. de Mêlas, ma- nœuvrait en Piémont, dès les premiers jours d'avril, pour empêcher la jonction des géné- raux français , Sucliel , Miollis et Masséiia. Savone venait d'être prise; et par une nou- velle méthode de faire la guerre, le général Suchet ordonna à la garnison retirée dans la citadelle de brûler la ville^ si rennemi ne V évacuait sur le champ (i). La garnison aima mieux se rendre et Savone fut sauvée de l'in- cendie. De sou côté Miollis fut attaqué et battu dans la rivière du Levant. Masséna , surnommé le fils aine de la -victoire y ne fut pas plus heureux à Nice et à Conégliano. Obligé de se retirer dans Gènes, il y soutint avec honneur un sié^e lonar et meurtrier. ( I ) Voyez la lettre du liculciHint-gcncral §aclict , daus la Monileur , floréal an YlII. braves qui se sont illustrés dans les armées. » Les grandes promesses et de larges distribu- tions d'eau-de vie suivirent cette proclamation, les grenadiers donnèrent l'exemple de l'audace, toute l'armée les suivit et la montagne la plus escarpée des Alpes fut escaladée, en huit heures. Ce fut le premier prodige de celte campagne, et non le seul. Il était même plus difficile de descendre la montagne que de la gravir. La descente était à pic, à travers des précipices et des crevasses formées par la foute des neiges. Le froid était excessif, la route n'était point Iracée. Comment faiie desceudie des chevaux. ( M) des cauons, des caissons dans ces profonds abîmes? on en vint à bout. Après quarante- deux heures de travaux inouïs et de souffrances inexprimables, l'armée se trouva au bas de la ïnonlaii^no. Les Français seuls et Annibal étaient capables de tels efforts. Ils n'élaient pas au bout de leurs maux. Avant d'entrer en Italie, il fallait nécessaire- ment prendre le fort de Bard, bâti sur un rocher en pain de sucre, qui, tant par sa situation sur les bords de la Doire, rivière profonde, rapide et dangereuse, bordée des deux côtés de rocs inaccessibles, que par les défenses que l'art avait ajoutées à la nature, devait arrêter six mois une armée qui n'avait pas de vivres pour six jours. Il fallait, disons-nous, prendre ce fort, ou remonter le Saint-Bernard, dont la seule idée faisait frémir le soldat le plus intré- pide. Il fallait prendre ce fort et très prorapte- ment, si l'on voulait que l'armée ne fût pas prise, comme dans un trébuchet, par celle du £5cnéral Mêlas, qui pouvait arriver d'uu moment à l'autre. Une garnison de cinq cents hommes et vingt- deux pièces de canon le défendaient. On ne pouvait y arriver que par un escalier fort étroit et pratiqué dans le roc. Dix hommes et deux pièces d'artillerie pouvaient tout ar- rêter et terminer la campague. Tous ces obs- ( i5) tacles divsparurent devant le courage indomp-' table de nos grenadiers. Après des peines in- croyables, lis trouvent moyen de bisser deux: pièces de canon dans le clocher de la \ille basse; et aussitôt ils battent en brèche le châ- teau. La garnison elfayée d'un feu qui parais- sait venir du ciel, croit avoir affaire à des êtres surnaturels, pense que toute résistance est inutile, et se rend prisonnière de guerre. Ce fut alors seulement que l'armée française, victorieuse de tant d'obstacles, crut qu'elle était invincible; et celte opinion ne contribua pas peu à la rendre telle. Buonaparte marcha à grandes journées vers Milan , où il entra sans difficulté le i3 prairial. Il y resta sept jours, au bout desquels ayant appris que le général Mêlas qui , par d'inccn- cevables motifs, était, jusqu'alors resté tran- quille à Turin, avait enfin rassemblé ses forces, et venait au-devant de lui; il lui épargna la moitié du chemin, et alla le chercher. Les deux armées se rencontrèrent le 24 prai- rial, dans les plaines de Marengo. L'armée française était forte de soixante-quatre mille hommes d'infanterie et de six mille de ca- valerie : celle d'autricbe avait cinquante cinq mille hommes d'infanterie et dix-huit mille de cavalerie. ( >6) tJne bataille élait inévitable. Les deux av- niées la désiraient également, les autrichiens, pour assurer leurs derniers triomphes; les français pour venger leurs défaites. Le 25 (14 juin), à la pointe du jour, les Autrichiens commencèrent l'attaque, d'abord assez mollement, plus vivement ensuite; et enfin avec une telle furie que les Français furent enfoncés de tous côtés. Dans ce mo- ment affreux où les morts et les mourants jon- chaient la terre, le pitmier consul , ])lacé au cen- tre de sa garde, paraissait immobile, insensible, et comme frappé de la foudre. Yainement ses généraux lui dépéchaient coup sur coup leurs aides-de-camp pour demander des secours , vainement ses aides- de -camp attendaient ses ordres, il n'en donnait aucun; il donnait à peine signe de vie. Plusieurs pensèrent que, Ci'oyant la bataille perdue, il voulait se faire luer; d'autres, avec pins de raison, se persua- dèrent qu'il avait perdu la tête et qu'il n© voyait , et n'entendait plus rien de ce qui se disait et de ce qui se passait autour de lui. JLiC général Bertliier vint le prier instamment de se retirer; au lieu de lui répondre, il se coucha par terre. Cependant les Fran çaîs fuyaient à toutes jam- bes; la bataille élait perdue, lorsque tout à coup (>7) on entend dire que le général Desaix arrive avec une division de troupes fraîches; bientôt après, on le voit paraître lui-même à leur tête : les fuyards se rallient derrière ses co- lonnes, leur courage est revenu. La chance tourne. Les Français attaquent à leur tour avec la même furie qu'ils ont été attaqués, et brûlent d'effacer la honte de leur défaite du matin. Le général Mêlas, surpris, étourdi de ce revers de fortune, dégarnit son centre pour étendre ses ailes, et commet, en cela, une faute irréparable : Desaix la voit, et en pro- fite; il enfonce le centre avec la rapidité de la foudre , tout ploie devant lui , il tient la victoire; et c'est alors qu'il est atteint d'une balle, et frappé d'un coup mortel. 11 n'a que le temps de dire au jeune Lebrun, fils du troisième consul : Je meurs avec le regret de n'avoir pas assez vécu pour jncm pays. Buonaparte, qui avait recouvré l'ouïe et la parole, apprend cette nouvelle, et s'écrie avec une feinte douleur : Ah! pourquoi ne mf est-il pas permis de pleurer l Il traverse le champ de bataille couvert de morts et de blessés; quelques-uns de ces der- niers lui montrent leurs blessures et implorent 2 (i8) les secours de Tart d'Esculape. 11 leur répond : Je regrette de rC être pas blessé comme vouSj pour partager vos douleurs. Celle viclolre nous c<»ûla sept mille cinq ceuls hommes et six. mille blessés; mais elle fut décisive. Le général Mêlas s'était jeté au plus fort de la mêlée; il eut deux chevaux tués sous lui, et reçut une blessure au bras. Il con- servait dans sa relraile plus des Irois quarts de son armée, et toutes les forteresses du Piémont et de la Lombardie. Quelle est donc la raison qui, dans cette situation, le détermina à signer un honteux armistice , et à faire d'aussi grands sacrifices que s'il ne lui fût pas resté un seul soldat ? Oa a dit qu'il avait été frappé d'une terreur pani- que, et qu'il avait cru voir le ciel lui-même armé contre lui ; mais c'est un conte qui ne méi ite aucune croyance. D'autres ont essayé de justi- fier sa résolution par une mutinerie qui s'éleva dans son armée, et que l'on croit avoir été fomentée par son ennemi. Nous n'en savons rien; nous n'affirmerons rien. Ce qu'il y a de certain, c'est que, par l'ar- mistice qui fut demandé par lui sur le champ de baJaille, et signé le 27 (16 juin) à Alexan- drie, il livra aux Français Alexandiie, ïortone. ( 19) Milan, Turin, Pizzighitoue, Urbin, Plaisance, Coni , Savone, Gènes ; Gènes, que ses troupes venaient de prendre tout récemment après un sièi^e de quatre mois. En un mot, il céda d'un Irait de plume , et après une bataille qui ne lui avait coulé que cinq raille huit cents hommes, toute ritalie, dont la conquête avait coûté à l'Autriche tant de sang et de trésors. Il faut le répéter : cela est inconcevable ! et Buonaparte eut un moment raison de se croire heureux. (20) CHAPITRE Iir. Paix de Lunéville, L'empereur d'Autriche, battu à Marengo par Buonaparte, et à HoheDliuden par Mo- reau, coniQiençait à craiudre pour sa capitale, dont Moreau n'était plus qu'à cinq journées. Le danger présent lui fit fermer les yeux sur le danger plus grand de séparer sa cause de celle de l'Angleterre , et de traiter avec un vainqueur insolent et incapable de rien céder des droits les plus étendus de sa victoire ; il céda à la peur, se soumit à sa destinée, et demanda la paix. Buonaparte qui , dans toutes ses proclama- tions, dans ses décrets, dans les notes du Mo' niteur, dans les instructions qu'il envoyait aux préfets, ne parlait que de paix, sans avoir la moindre envie de la faire, ne put néanmoins refuser d'en écouter les propositions de la part de l'Autriche, sous peine d'èlre ouvertement démasqué aux yeux des Français, qu'il avait en- core quelque intérêt de ménager. 11 était d'ail- leurs le maître d'insérer dans le traité telle con- dition, ou tel article si artilicieuscment tourné. (21 ) que , quinze jours ou uu mois après la signa- ture, il était assuré de recommencer la guerre, si cela lui convenait. Personne plus que lui ne sut jeter des germes de guerre dans les traités de paix, Lunéville fut désigné pour le lieu des confé- rences. Il y envoya son frère Joseph Buona- parte (i) en qualité de plénipotentiaire, et lui adjoignit, en qualité de secrétaire d'ambassade, M. Laforét , qui fut le véritable négociateur. M. le comte de Cobenlzel fut le plénipoten- tiaire d'Autriche. Dès le lendemain le pro- tocole fut ouvert , et les négociations se sui- virent, sans interruption, pendant quarante jours , au bout desquels le traité fut conclu et signé le 20 pluviôse an IX ( le g février i8oj). Par l'article II de ce traité, l'Autriche con- firmait, de la manière la plus solennelle, la (i) Joseph Biionaparte, l'aîné de cette nombreuse et détes- table famille , est un homme médiocre de toutes manières , mé- diocre en bonté , en esprit , en talent ; aimant le plaisir , la table et les femmes ; incapable d'application, et d'une méchan- ceté réfléchie : Magis extra vitia quàm intrà virtutes. Son frère le nomma roi , d'abord à Nnples , ensuite en Espagne : il ïi'a fait ni bien ni mal de lui-même dans ces deux paysj mais il laissait faire le mal à ses ministres , à ses courtisans et à ses maîircsses. (22) cession des provinces belgiques à la France , et renonçait, tant en son nom qu'au nom de ses successeurs , à tous ses droits et titres aux- dites provinces , « lesquelles seront possédées à perpétuité , en toute souveraineté et pro- priété , par la république française, avec tous les biens territoriaux qui en dépendent. » Par l'article VI , S. M. l'empereur et roi con- sent, tant en son nom qu'en celui de l'em- pire germanique , à ce que la république fran- çaise possède désormais en toute souveraineté les pays et domaines situés à la rive gauche du Bhin qui faisaient partie de l'empire germa- nique. Par l'article V, le grand-dnc de Toscane re- nonce, pour lui et ses successeurs, au grand- ducbé de Toscane et à l'île d'Elbe, en faveur de l'infant duc de Parme. Par l'article XII , S. M. impériale renonce pour elle et ses successeurs , en faveur de la ré- publique cisalpine , à tous les droits et litres qu'elle pouvait avoir avant la guerre sur tous les pays qui , aux termes du traité de Campo- Formio , font actuellement partie de ladite ré- publique. De son côté , la république française con- sent, par l'article 111, à ce que l'empereur et roi possède en toute souveraineté et pro- (23) priélé, ristrie , la Dalniatie , les îles véni- tieunes , les bouches du Cattaro , la ville de Ve- nise et pays compris entre les états héréditaires de S. M., la mer Adriatique, et TAdige , de- puis sa sortie du Tirol jusqu'à son embou- chure dans ladite mer, etc. Cette paix, qui assurait tant d'avantages à la France, fut suivie de la paix avec les rois de JNaples, de Suède et de Portugal, avec la Porte, avec l'empereur de Russie, avec les Etats-Unis d'Amérique , avec l'électeur de Bavière et la régence d'Alger. La France respira pendant quelques Jours ; il faut même en convenir, la France crut voir dans tous ces traités de paix le gage des bonnes dispositions de son premier magistrat. Ce fut le moment où Buonaparte parut s'occuper plus attentivement des soins de l'administration , or- ganisa les tribunaux , établit la banque, donna quelques encouragements aux sciences et aux arts, accorda des prix à l'industrie, répara les grandes routes, et annonça le projet des grands embellissements qu'il a faits depuis à Paris. Ce fut aussi le moment où il recueillit, pour la première et dernière fois de sa vie, dans les ap- plaudissements de la nation , le prix de ses victoires et de ses tiavaux. Par l'effet de tous les traités dont uous ve* (24) nons de parler, rAngleterre restait le seul en- nemi que nous eussions dans l'univers. Buona- parle s'était mis en tète d'en faire l'ennemi du i^enrc humain ; et il avait imaginé , pour cela, le plus faux et le plus absurde des sys- tèmes : c'était de lui fermer tous les ports de l'Océan et de la Méditerranée : comme si l'in- térêt , cent fois plus puissant que tous ses dé- crets, ne devait pas lui en ouvrir les portes ; comme s'il n'y avait pas moyen de faire arriver Jes denrées coloniales par la Russie, quand elles ne pouvaient plus approcher des côtes de France , d'Espaj^ne ou d'Italie ; comme si enfin il n'était pas possible de faire des échanges en haute mer, quand ces échanges étaient inter- dits dans les ports. Le premier consul ne put jamais com])rendre ces idées simples, parce qu'elles contrariaient son opiuion favorite. 11 avait juré de ruiner le commerce de l'Angle- terre; et, en attendant, il lui faisait une guerre d'injures, qui le rendit un objet de mépris et de pitié pour tous les hommes sensés du continent» (25) CHAPITRE IV. Guerre de plume et d'injures, (Quelques améliorations dans les actes, dans les formes et dans les principes da gouverne- ment de Buonaparte ,ue nous empêchèrent pas de prévoir avec inquiétude les désordres et les malheurs que devait encore produire en France et en Europe Tinfluence toujours subsistante des hommes dépravés que la révolution avait mis en évidence, auxquels une fausse opinion accordait quelques talents, qu'une plus fausse opinion rendait redoutables au pouvoir, et que, par cette raison , Buonaparte avait appelés auprès de lui et nommés à des places éminentes* Cette influence se faisait particulièrement sentir dans les journaux qui leur étaient ven- dus, et dans la plupart des opérations diplo- matiques qui leur étaient confiées. A l'époque où nous sommes arrivés, tous les journalistes reçurent l'ordre de payer chaque jour un tribut d'injures aux Anglais. Parce que les Anglais n'avaient pas voulu' entrer dans le plan de pacificalioa que le pre"- ( 26) mier consul avait conçu pour ]e bonheur cofn- Tnun, ils lïirenl accusés par lui d'être les au- teurs de toutes les i^ueires que nous avons sou- tenues depiiis quatre cents ans ; de nous faire la i5 (Cire avec des armes empoisonnées, d'ex- citer les peuples à la révolte contre leurs sou- "verains, et les enfants à l'insubordinalion con- tre leurs pareuts; de payer des brii^auds dans toutes les cours de l'Europe pour assassiner les rois, et d'endoctriner les chauffeurs qui déso- laient nos campaj^nes ( i) ; de faire de la fausse monnaie pour payer les espions qu'ils entrete- naient dans le sénat, dans le conseil d'état et dans le tribunal .... ; en un mot, de tous les crimes qu'une imaj^i nation aussi ardente que celle de Buouaparte put inventer. 11 crut , en conséquence, pouvoir retourner contre eux les armes qu'il les accusait d'em- ployer contre nous. 11 envoya en Angleterre des émissaires char- ( I ) Les chauffeurs î On appelait ainsi des scélérats d'une nouvelle espèce , qui parcouraient les campagnes , et forçaient les hommes et les femmes à leur délivrer l'argeut qu'ils avaient cache, eu leur brûlant la plante des pieds. Ces exécrables scé- le'rats avaient puise leurs principes dans l'exécrable livre de Justine , dont ils ont plus d'une fois cite de longs fragments de- vant les juges charge'à d'instruire leur procès et d'eu délivrer la terre. (^7) gés, les uns de faire assassiner les émigrés el les princes de la maison de Bourbon (i) , les autres de corrompre l'opinion publique par la voie des journaux; d'autres enfin de prêcher la sé- dition et de soulever la canaille contre les pro- priétaires : il poussa l'oubli de toutes les bien- séances au point de faire écrire dans son propre journal , dans le journal officiel, la phrase sui- vante, empruntée des discours de Marat. « Qite le peuple anglais se soulève contre un gouvernement oppresseur ^ et il trouvera dans les Français des libérateurs et des amis.^y Paroles exécrables autant ([u'insensées dans la bouche d'un homme qui ne faisait que de naître au pouvoir, et d'après les projets paci- fiques qu'il avait annoncés. Comme il n'avait pas plus attendu l'assenti- ment de l'Europe que celui de la France à son usurpation, il anticipait, dans cette absurde provocation, sur la sorte de prescription qui confirme tacitement toutes les usurpations; et, se mettant déjà au rang des plus anciens sou- verains de la terre , il ne voyait dans les se- (i) Les nommes Moiitgaiilard el Méhee, entre autres , furent chargés de ces horribles commissions. Le dernier ne s'en est pas caché, et, se jouant avec sa propre honte, il en a écrit l'his- toire infâme sous le titre à! Alliance des jacobins de France avec le ministère anglais. (25) cours qu'il reprochait aux A uglais d'accorder aux royalistes de Frauce, qu'un soulèvement contre son autorité; souicvemeut qu'il lui sem- blait permis de repousser par un appel au peu- ple contre son i^ouveruement. Mais il se trompait grossièrement; et les journaux anglais lui reprochèrent sans mcna- genient et son erreur et sa grossièreté. « Avec plus de lumières et de bon sens, lui dirent-ils, vous auriez dû. sentir. Monsieur, que, dans votre position, nouvellement parvenu au pouvoir souverain, et occupant depuis deux jours une place que vous disputent également et les royalistes et les républicains , vous avez pour ennemis naturels tout ce qui se trouve de républicains el de royalistes eu France et en Angleterre. « Vous auriez dû sentir que si la fortune vous donne dans ce moment des forces supérieu- res à celles de vos ennemis, vous n'en restez pas moins avec eux clans une infériorité constante de droit et de principes; et par conséquent, que vous devez songer à desintéresser ou à sou- mettre tous ces ennemis , et vous garder soi- gneusement de vous mesurer avec eux , soit par des conséquences puisées dans la politique de vos bureaux , soit par des comparaisons tirées de l'histoire de vos pareils. » (29) <♦ Jns"(u'à ce que le gouvernement d'un usur* pateur soit sanctionné par le temps ou par rasseulimeut général , on ne peut regarder comme coupables ni ceux qui lui obéissent, ni ceux qui lui résistent. Les grands intérêts de sûreté, de repos et de propriété, sont les mêmes dans les deux partis ; et la force qui parvient à détruire celte opposition , en la noyant même dans le sang, ne saurait la flé- trir (i). » « L'appui que cette opposition peut obtenir des puissances en guerre avec la France , est absolument dans les termes du droit public : car il ne s'agit pas de renverser un gouverne- ment reconnu , mais de l'empêcher de s'établir au détriment des étrangers , et d'une grande partie des Français eux-mêmes. » Telle fut la réponse que les publicistes an- glais firent à la provocation du premier consul , et qu'il ne put jamais comprendre. Il n'y avait pas encore un an qu'il régnait , et il se croyait déjà le monarque le plus ancien de l'Europe, comme il eu était le plus absolu. Né dans les dernières classes de la société , et parvenu à force d'intrigues, de bassesses et de violences, ( 1 ) Ceci est relatif aux querelles des maisons d'York et d'An- jou, et, plus récemment, à celles des maisons d'Hanovre et de Stuart. (3o à s'affranchir de la misère , et à sortir de son obscurité native , il avait oublié complètement son origine et ses moyens d'élévation; il était vain , fier et dédaigneux , comme tous les par- venus : il ne pardonnait pas aux Anglais la li- berté qu'ils prenaient souvent de se moquer de sa hauteur, de ses prétentions, et de ses fu- reurs. 11 frémissait de rage au seul nom de MM. Pitt et Greenville, qui défendaient leur pays tantôt par la puissance des armes et tantôt par celle de la raison. 11 se plaignait continuellement des libelles, des pamphlets et des caricatures qui parais- saient contre lui à Londres; et lui-même pu- bliait à Paris ou faisait ])nblier des caricatures, des pamphlets et des libelles contre le gouver- nement anglais. Pour donner une idée de son talent eu ce genre, nous citerons quelques phiasesd'un ar- ticle qui parut dans Vyirgns (i), et qu'on lui attribua. (i) Tel étiit le nom d'un joHinnl qui se faisait dans les bii- fcanx el par les soins d'un commis des relations exle'iicurcs. Son objet ptlucip.!! étiil d'injurier les Anglais; mais sa compo- sition avait quelque chose de singulier , et qui roeiite d'être rappelé. On le composait d'abord en fiançais, puis ou le tra- duisait en anglais pour les badauds , qui croyaient que ce jour- Hal venait d'Angleterre. Enfin , j)our ceux qui ne savaient pas (3i) W Ce n'est pins assez, disait-il , pour le goii- vernement aiiç;lais , qu'une armée de libellisles employée à voiuir journellement les injures les pins grossières contre la France. Soit que leur intarissable fécondité soit à bout , on que Icm's invectives absurdes ne secondent j>as suffisam- ment à leur gré les louables desseins de ceniC qui les paient, le ministère anglais vient de prendre un autre paiti : c'est de faire distri- buer par numéros une collection complète de satires et de cbansons, pièces rimées ou en prose, cjue le fiel et de vieilles baines ont , de- puis cent ans, mises au jour contre la France. La distribution en est confiée à tous les corps civils, militaires, ecclésiastiques ; aucun fidèle sujet de S. M. ne doit élre privé des avantages d'un papier si précieux. Il faut croire que cette admirable production servira d'amusement aux volontaires , et même qu'elle trompera la faim de leurs femmes et de leurs enfants.. . . » «Tels sont les bonnétes moyens que, dans la nécessité de cacber son embarras et ses bé- vues à un peuple réduit à des extrémités dé- plorables , emploie le gouvernement anglais. Qu'espère-t-il parla? entretenir dans l'esprit l'anglais, on en traduisait les morceaux les plus saillants, c'est- à-dire, les plus injurieux , qu'on envoyait par ordre à tous les autres journaux. (32) des Anglais une haute idée de leur puissance ; qu'il se détrompe , etc. etc. » Ces misérables déclamations ne faisaient au- cune impression sur l'esprit des gens éclairés. Mais dans la classe du peuple» des ouvriers, et des marchands, elles entretenaient des haines nationales, des erreurs superstitieuses , et des préjugés honteux. On était venu à bout de per- suader aux uns et aux autres, que les Anglais étaient tout à la fois les plus rusés politiques de l'Europe et les dominateurs les plus insolents , le peuple le plus factieux et le plus esclave, des calculateurs profonds et des raisonneurs inep- tes. Ou leur avait fait accroire qu'ils étaient la cause unique de tous les maux et de tous les crimes de la révolution j que c'étaient eux qui avaient brûlé les châteaux des nobles, pillé nos églises, démoli nos manufactures , égorgé nos femmes et nos enfants. Ce sont eux qui ont proclamé la loi des suspects par la bouche de M. Merlin ; qui ont assassiué Louis XVI par les mains de la Convention; qui ont mis Buo- naparte sur le trône pour épuiser d'abord tout le sang que nous avions dans les veines , et en- suite ])our nous enlever nos colonies, nos vais- seaux , nos places maritimes , etc Que n'ont-ils pas fait? Voyons maintenant jusqu'à quel point ces imputations sont fondées. (33) CHAPITRE V. Des Anglais, 1 L fut un temps , et ce temps n'est pas loin , où rien a'élait bien fait en France , s'il ne ve- nait d'Angleterre; alors, pour être à la mode , et paraître avec quelque avantage dans le mon- de, il fallait avoir au moins un chapeau , des bottes et un frack à l'anglaise. Nos chevaux , nos équipages , nos jockeys , nos meubles, tout était anglais. Nous faisions venir d'Angleterre nos livres et nos rasoirs , nos montres et nos rubans, les instruments de chirurgie et les joujoux de nos enfants. En un mot, tout ce qui venait de ce pays était admirable à nos yeux, avait droit à notre curiosité , excitait notre in- térêt au plus haut degré. Ce qui l'excitait surtout, et peut-être ce qui en était la source , c'était la liberté , dont ce peuple nous paraissait jouir à l'abri de sa constitution ; c'était sa noble attitude devant le pouvoir j c'étaient les débats parlementaires ; c'était enfin l'esprit d'opposition qui arrêtait les abus de l'autorité, sans mettre d'entrayes à son exercice. (84) ÎSous avions la ferme persuasion que de« liomnies qui censuraient avec tant de hauteur les actes les plus respectés parmi nous, étaient d'une trempe supérieure à la nôtre, et qu'une nation qui renfermait dans son sein beaucoup d'hommes de cette espèce, devait être la pre-» niière nation du monde. ÎNous étions beaucoup trop modestes, mais enfin tels nous étions; et c'était la cause de notre engouement. La cause et l'effet ont disparu en même temps. A cette idolâtrie, vraiment ridicule, a succédé une impiété plus déraisonnable en- core : nous avons passé d'une extrémité à l'autre. Ces sortes de révolutions auraient de quoi nous étonner, si elles étaient moins fré- quentes parmi nous. Rien n'est plus commun que de nous voir brûler le lendemain ce que nous adorions la veille, et réciproquement. ISe nous étonnons donc pas, si une de nos grandes manies du jour est de dire aux an- gj'd'is autant d'injures que nous leur avons jadis prodigué d'éloges. Nous leur refusons aujourd'hui talents, vertus, courage, honneur, patriotisme, liberté, tout ce que nous ainuons à leur accorder avec tant de libéralité. Ce- pendant de ce que les éloquentes philippiques des orateurs de Westminster soient restées au-dessous des violentes déclamations de l'as- (35) semblée constituante et de la convention, il ne suit pas que tout ce que produit l'Angleterre soit indigne de notre estime et de notre at- tention; il ne suit pas que Pope, Adisson', Dryden et Milton soient des écrivains mé- prisables; que MM. Pitt, Sberidan, Burke, Addington et Greenville soient des politiques d'antichambre; que Marlborougb , Petersbo- rough, Nelson et Wellington soient des ca- pilaus de comédie; il ne suit pas que tous leurs négociants soient des fripons, tous leurs médecins des ignorants, tous leurs orateurs des bavards, tous leurs soldats des lâches. Voilà pourtant ce que voulaient et veulent encore aujourd'hui nous faire accroire ces jongleurs diplomatiques, accoutumés à ne penser que d'après leurs maîtres, et à écrire sous la dictée de Buonaparte. Ces messieurs se disent hoîis Français ^ parce qu'ils disent beaucoup de sottises aux Anglais. La preuve est singulière, et digne à tous égards et de leurs opinions et de leur conduite. Mais ils nous permettront de dire qu'on peut être très bon Français, et croire que les Anglais sont une nation respectable, et noble rivale de la nôtre. On peut être bon Français, et dire qu'ils ont un esprit public que nous n'avons pas ; un 3.. (36) commerce florissant que nous n'avons pas; une marine formi^lable que nous n'avons pas; des manufactures opulentes que nous n'avons pas; une liberté civile que nous n'avons pas (i) ; un habile pilote, enfin, que nous n'avons pas. 11 nous plaît d'appeler ce grand pilote un ^rand scélérat; mais cette injure et toutes celles que lui prodiguent V Argus et le Moni- teur, ne lui ôlent rien de l'estime générale qu'on lui accorde en Europe, et ne l'em- pêchent pas de dormir. Il a plu au premier consul de le mettre à la tête des complots qui se formaieut alors contre sa vie; le premier consul était frappé d'un vertige, et croyait que tous ses ennemis étaient des lâches, et qu'on ne pouvait lui faire la guerre sans chercher à l'assassiner. (i) Ceci était écrit sous BuonapartC; et pendant le ministère de M. Pitt. (37) CHAPITRE VI. ZjU vie du premier consul est menacée; Machines infernales. Les complots qui tendent à renverser un gouvernement ne sont point des crimes de tous les temps et de tous les lieux. Flëlris dans un temps, il sont glorifiés dans un autre; Topi- nion les juge différemment dans les républiques et dans les monarchies : le premier des Brutus enlève encore aujourd'hui notre admiration, et le second nous fait horreur. Malheur à celui' qui succombe en ces occasions! Si le fils de Cromwell eût hérité du génie de son père. Je cadavre de celui-ci aurait été déposé à West- minster et non pas jeté aux gémonies. Buonaparte n'ignorait pas que son usurpa- tion blessait beaucoup d'intérêts, et avait pro- duit beaucoup de mécontents ; il devait donc craindre, et il craignait en effet, qu'on ne cherchât à le déplacer. Ses craintes, exaltées par sa lâcheté naturelle, lui faisaient voir des ennemis dans tous ceux qui n'étaient pas à ses pieds, et un assassin dans chaque ennemi. Dès le 27 fructidor an YIII, c'est à-dirt (38) dix mois après sou élévalion, il se crut me' nacë d'une conspiration. Sa police , alteulive à renlreteuirdaus ses frayeurs, découvrit un pre- mier complot, dont les auteurs avaient projeté d'assassiner le premier consul à la sortie du spec- tacle ; ils furent arrêtés et conduits au Temple. Le i8 vendémiaire suivant, un autre complot fut découvert; et, chose incroyable! celui-ci n'était que l'exacte répétition du premier. Voici comment le journal officiel en rendit compte. « Dans les premiers jours de la seconde dé- cade de vendémiaire, on fut instruit qu'un nommé Demerville avait distribué de l'argent, et que des scélérats bien connus fréquentaient sa maison. On sut, préciséraent le 17, que onze d'entre eux devaient se jeter sur le premier consul à sa sortie de l'Opéra. Ces individus étant connus, la police avait pris de sévères mesures de surveillance. Le 18, deux de ces sélérats, romains de naissance, dont un nommé , Ccracchi et l'autre Diana , furent arrêtés dans ! les couloirs! de l'Opéra. Ils étaient arihés de coutelas. Demerville, et quelques-uns de ses complices, Topino -Lebrun, Lavigne, Dar- they ont été arrêtés dans la nuit. Demer- ville etCeraccbi ont tout avoué. Ces misérables sont pour la plupart des individus accoutumés au crime par les massacres de septembre, etc. » (Sg) Celte nouvelle, répandue en ville, y pro- duisit des sensations très différentes : les uns y attachèrent fort peu d'importance, les au- tres la nièrent lout-à-fait ; les autres enfin firent semblant d'en être alarmés, et allèrent expri- mer en termes pompeux leurs alarmes au pre- mier consul ; le conseil d'état, les tribuns, le sénat, le département, l'institut, etc., se pré- sentèrent les uns après les autres au château , furent admis solennellement à l'audience, et dirent équivalemmeut : « Citoyen premier consul, nous avons appris avec une profonde douleur l'accident qui vous est arrivé. Attenter à votre vie, c'est mettre en danger celle de tous les Français ; c'est le plus grand crime que les hommes puissent commet- Ire; c'est un crime de lèse-nation. Défendez- vous donc de votre générosité naturelle ; ar- mez-vous de sévérité , et punissez tous ces co- quins très promptement. » Le citoyen Crassous de l'Hérault , président et organe du tribunat , ajouta à ces idées ba- nales une idée parliculière et qui mérite d'être remarquée. 11 dit : « jNe vous le dissimulez pas , citoyen pre- mier consul , il y a eu tant de conspirations à tant d'époques et sous tant de couleurs di- verses, qui n'ont été suivies ni de preuves ni de (40) jugements, quune grande partie des bons ci^ toyens est tombée à cet égard dans une in- crédulité funeste qu'il est temps de faire ces- ser.... » Le premier consul répondit affectueusement à tous ces messieurs , « qu'il était bien sensible à leur attention , mais quil n'avait pas eu peur, parce qu'il avait autour de lui un piquet de cette brave garde , dont les misérables n'au- raient seulement pas pu supporter les regards. » Je ne sais jusqu'à quel point cette réponse martiale tranquillisa les sénateurs elles tribuns; mais il paraît qu'elle n'intimida pas beaucoup les misérables qu'elle menaçait. Quelques jours étaient à peine écoulés , lors- que nous fûmes informés par la police, qu'un scélérat nommé Chevalier avait été surpris dans son domicile à fabriquer une machine incon- nue , et dont la destination ne pouvait être que dangereuse et criminelle^ disait le rapport du préfet de police. « Cette machine , à juste titre nommée infer- nale , consistait en une espèce de baril cerclé en fer, lequel était rempli de balles, de mar- rons de six à sept livres de poudre , et au- quel était fortement attaché un canon de fusil garni de sa batterie. » Ledit Chevalier eut beau dire que sa ma- (41 ) chine était commandée par la marine , on Ini prouva qu'elle était destinée à faire sauter le premier consul. Il fut arrêté avec les nommés Desforges, Gombaut -la- Chaise , Jumillard , Bousquet et Thibaud. •■»' Qui n'eût cru que là devaient s'arrêter tous les complots , que c'était au moins la fin de ceux qui tendaient à faire sauter le premier consul par le moyen des barils de poudre? Mais, ou c'était de la part des conspirateurs une folie qui les faisait courir évidemment à la mort , ou de la part de la police une grande stérilité d'imagination , qui ne lui permettait pas de varier l'arrangement de ses abominables contes. Nous étions destinés à dévorer le récit d'un quatrième complot, semblable, quant au fond , aux trois premiers, mais qui fut plus ter- rible dans ses effets. En voici le récit officiel , en forme de procès-verbal : « Aujourd'hui ( 3 nivôse ) , à 8 heures du soir, le premier consul se rendait à l'Opéra avec son piquet de garde. Arrivé à la rue St.~ Nicaise, une mauvaise charrette, attelée d'un petit cheval , se trouvait placée de manière à embarrasser le passage. Le cocher, quoique al- lant extrêmement vite, a eu l'adresse de l'évi- ter. Peu d'instants après, une explosion ter- rible a cassé les glaces de la voiture, blessé (40 ïc cheval du dernier homme du piquet, brisé toutes les \itres du quartier, tué trois femmes, un marchand épicier et un enfant. Le nombre des blessés connu jusqu'à présent est de quinze. Une quinzaine de maisons ont été considéra- blement endommagées. 11 paraît que cette char- rette contenait une espèce de machine infer- nale. La détonation a été entendue de tout Pa- ris. Une bande de roue de charrette a été jetée pardessus les toits dans la cour du consul Cam- bacérès. Le.premier consul a continué son che- min , et a assisté à roratorio. » Ce récit est inexact d'un bout à l'autre ; le nombre des morts et des blessés y est considé- rablement diminué ; ce n'est pas là ce que je blâme: ce que je blâme, c'est le sang froid avec lequel on nous raconte cet horrible événe- ment ; ce que je blâme, c'est le mensonge rela- tif au premier consul, qui alla bien à l'Opéra , mais qui n'assista point à l'oratorio. Ce qi|e je blâme surtout , et ce qui m'indigne , c'est que si la police n'était pas le premier auteur du complot, comme on le crut généralement à Paris, die en fut au moins complice , car elle en était instruite: elle ])ouvait en prévenir l'exécutiou , elle pouvait donc sauver la vie à vingt- cinq ou trente persoiuies, d'horribles souffrances à plus de deux, cents qui furent (43) grièvement blessées , et la forlntie à trente ou quarante propriétaires, dont les maisons furent ébranlées jusque dans les fondalionspar ce fu- neste accident. Elle connaissait les auteurs du complot , comme nous le verrous bientôt ; pourquoi donc ne le prévint-elle pas, en les faisant arréler? Que devons-nous penser de ces hommes qui , par des motifs secrets de poli- tique ou d'intérêt, se jouent aussi légèrement de la vie et de la fortune des autres? Il ne s'agissait plus seulement de propos te- nus dans des cabarets , de conjectures hasar- dées dans les bureaux de la préfecture , de conspirations chimériques ; il y avait ici un commencement d'exécution, il y avait une ten- tative évidente, une explosion terrible, des morts et des blessés. 11 y avait un grand délit commis ; quel en était le but , quels en étaient les auteurs? Le but apparent était de faire périr le premier consul ; un but plus mystérieux et plus réel était celui de jeter sur sa personne un grand intérêt, de rappeler ses services, de pré- senter les suites funestes de sa mort , et enfin de le faire nommer consul à vie. Les anarchistes i-en étaient les auteurs , suivaht le rapport du préfet de police ; et, suivant celui du ministre^ c'étaient les royalistes. « Plusieurs des individusarrètés,di8ailleprc- (44) ittîer, ont figuré parmi tout ce que ]a déma- gogie a de pins impur el de plus dégoûtaut. Le I^^ et le 2 nivôse, tous mes rap]>orts me firent connaître (| le les enragés étaient en mouve- ment. » A la suite de ce rapport on condamna à la déportation cent trente indi.idus qui avaient joué uu rôle sous le règne de Robespierre. « Dès le mois de brumaire dernier , dit le second , j'étais instruit que Georges, de retour d'Angleteire, en a\aii apporté de nouveaux projets d'assassinats, et des guinées pour en- hardir et payer les assassins. Les auteurs de l'attentat du 3 nivôse, tous agents de Georges, sont arrivés successivement , savoir : Joyau , dit d'Assas , le i3 brumaire; Lahaye , le 17; Limoelan, le 20; St. -Régent, leSo. H) de arriva le II frimaire , et le même jour il rassembla à l'hôtel des Deux-Ponts les agents de Georges, et discuta avec eux les moyens de faire réussir l'attentat que le cabinet de Londres lui ordon- nait de consommer promplemenl. Ce fut dans ce conciliabule que le complot prit , pour la première fois , uu caractère fixe et déterminé. St.-Régent est celui qui a mis le feu aux pou- dres ; jeté par l'explosion sur une borne , il a failli périr avec les victimes de son attentat : il est arrêté, ainsi que François Caibon. » A la suite de ce rapport, Carbon , St.-Régeat, et (45) quelques autres prétendus royalistes, lurent mis en jugement et condamnés à mort. C'est ainsi que le premier consiil f^ppait des deux, mains, et croyait se défaire de tou» ses ennemis, en faisant accuser successive- ment les royalistes et les jacobin^ de vouloir l'assassiner; et pendant que les tribunaux, et les bureaux de la police ne retentissaient que des bruits d'assassinats, de complots et de cons- piraiions, le peuple de Paris, tombé à cet égard dans une incrédulité JunesCe , suivant l'expression du C. Crassous de l'Hérault, en- tendait ces bruits sans émotion , voyait ces agitations sans y prendre j art , et ne croyait pas plus aux rapports du préfet qu'à ceux du ministie de la police. Ce sont cette incrédulité d'une part, et de l'autre ces conspirations sans cesse renaissantes , qui déterminèrent l'auteur de cet écrit à publier, sous le manteau de la cheminée, le persiflage suivant (i). ( I ) Ce pcrsiflige paraîtra peut-être un hors-d'œuvre déplacé dans un sujet aussi sérieux que le nôtre, et nous !e craicrnons nous-mêmes ; mais nous 3r*oni pensé, d'un autre cote, qu'il pour- rait distraire un moment l'esprit de nos lecteurs, fatigués de tous les objets déplaisants que nous sommes forcés de passer en revue avec eux, et nous l'avons laissé tomber de notre porte-feuille. (46) CHAPITRE VIL Théorie des Conspirations, U N orateur , d'une de nos assemblées déli- bérautes , disait un jour à la tribune , qu'il y avait deux conspirations en permanence, ( Kapport du C. Bailleul sur le j8 fructidor. ) 11 se trompait : il y a cent couspiralious en permanence , il y en a mille, il y en a autant que d'intérêts divers. Qui se chargera de les compter? Faites-y bien attention, et vous verrez que nous sommes tous conjures les nus contre les autres. Ici c'est la cupidité du marchand qui cons- pire contre la bourse de Tacheteur; là , c'est la mauvaise foi du plaideur qui conspire contre la conscience des juges ; un auteur sifilé cons- pire contre les plaisirs du parterre, qui a cons- piré d'avance contre le succès de sa pièce. ]\e voyez -vous pas les pauvres conspirer contre les riches, les fripons contre les hon- nêtes gens , et les journalistes contre le mau- vais qoût? INaguères le litre de monsieur conspirait Xîonlre le citoyen^ et le dijnanche contre la (47) décade; aujourd'hui encore vous voyez la toise conspirer contre le mètre , et les provinces contre les départements. Feu Mercier conspirait contre Racine ; Da- vid conspire contre Lebrun, et l'orchestre de l'Opéra contre celui du Conservatoire. Vous appellerez cela folie ou malheur, si vous voulez; mais c'est un fait confirmé par mille et mille expériences : hommes et femmes, grands et petits, riches et pauvres, nous sommes tous des conspirateurs , non par la permission de la police, mais par la force des choses et par le vœu de la nature. Que serait-ce si je rappelais ici les conspi- rations connues dans nos annales révolution- naires sous le nom de fromages , d^œufs rouges ^ de matelas^ de mouchoirs , àiÇ porte- feuille d'En tr aiguë ^ de charrlot ^ de Kinglin, des affiches de Lyon^ des papiers de Bay^ reuth^ et du iQ fructidor {^i) ? Que serait-ce si je tenais compte des cons- pirations qui se tr;imcnt toute la journée dans les salons et dans les tabagies, dans les cafés et dans les caves , dans les ateliers et jusque dans la chambre à coucher du premier consul? Cela ne finirait pas; et cependant il faut finir. (i) Noms des différentes couspiraiions inventées ou décou- vertes par le diiectoire. ( 48) L'histoire générale des conspirations n'est au fond qi?e celle des passions en activité. Nous laisserons volontiers à M"*®, de Staèl le plaisir de l'écrire, et à M. Benjamin Constant celui de lui fournir ses matériaux ; mais nous, qui devons être plus modestes, nous nous borne- rons au récit des trois conspirations banales dont il est si grand bruit aujourd'hui; savoir, des Royalistes, des Jacobins et de Buona- parte , et nous verrons en résultat que la pre- mière est la plus creuse, la seconde la plus ef- frayante , et la troisième la seule qui prospère. Cerberus haec ingens latratu régna trifauci Personal, adverso recubans immanis in antro. Conspiration des Royalistes» « Ce sont les rois qui ont détrôné les peuples. » ( Opinion de Manuel , procès de Louis XVI, ) Qu'est-ce qu'un royaliste? c'est un imbé- cile dans l'ordre politique , dit Condorcel ; c'est un monstre dans l'ordre moral, dit Ché- DÎer; c'est un assassin du peuple, dit Danton... Que signifient toutes ces qualifications? Pour- quoi ne pas dire tout simplement : C'est un conspirateur. Ce mot dit tout ; il coudamne les royalistes en dernier ressort. (49) A qui en appelleraient-ils? L'univers entier est partagé entre leurs complices et leurs ac- cusateurs. Ni les uns ni les autres ne peuvent être leurs juges. On demande des preuves! Les preuves! je les trouve dans les dénonciations innocem- ment débitées à la tribune, et non moins in- nocemment écrites dans les journaux intitulés le B.édacùeur ^ le Moniteur ^ V Ami des lois , le Journal des Hommes libres , le Citoyen frau' çais. En écoulant les unes , et en lisant les au- tres avec quelque attention, on apprend avec effroi que les royalistes attaquent les passants au coin des bois, égorgent les femmes dans leurs alcôves et les enfants dans leurs ber- ceaux, et dévorent leurs victimes. Dans ces mêmes discours on voit, et non sans indignation, que les royalistes passent leur vie à aiguiser des poignards, à préparer des torches, à mixtionner des poisons, à re- cruter des soldats, à fanatiser \es peu]y]es , à calomnier les armées , à solliciter toutes les places, à piller toutes les caisses, à brûler nos magasins, à vendre nos armes à l'ennemi, à s'entendre , tantôt avec le ciel pour faire tom- ber la foudre sur les Tuileries , et tantôt avec l'enfer pour faire sauter le premier consul dans la rue Sl.-Nicaise. Rien n'est donc plus démontré que la cons- 4 (5o) piration des royal'stcs; de plus, jamais conspi- ration ne fut ui plus vaste ni plus dangereuse pour la république. Elle est vaste , car elle embrasse tout l'u- nivers : indépendamment des souverains qui nous gouvernent sous toutes sortes de dénomi- nations, de rois, d'empereurs, de consuls, de pentarques, d'exarques, de doges et de caci- ques, je vois avec douleur que, nous autres gou- ■vernés, nous nous laissons doucement parquer dans nos cités comme des moutons dans leurs bergeries; je vois de plus que chacun de nous, après avoir consenti à se donner le maître qui lui convient , ne serait pas fâché de le devenir à son tour. Depuis le plus humble des employés jusqu'au plus vain des ministres , tous sont biea aises d'avoir des flatteurs, des esclaves et un auditoire : n'est-ce pas îà régner? n'est-ce pas là le vœu du genre humain? n'est-ce pas là ce qu'on appelle une vaste conspiration ? Ajoutez que c'est une conspiration très dan- gereuse, car elle menace la république d'une chute prochaine. Ce sont les royalistes qui les premiers ont dit ciuune république est une chimère. Et pourquoi? parce qu'une république, si elle pouvait exister, serait la chose de tout le monde : ce qui implique contradiction. Ce sont encore les royalistes qui ont dit (5i ) qu'une république était un état contre nature. Et pourquoi ? parce que la uature ne reconnaît T^oïntY éî:^alité t qui en fait la base: parce que, si nous étions tous égaux (i) , nous serions tous nvaux ; et parce que, si nous étions tons rivaux, nous serions tous en guerre les uns contre les autres. Il faut donc qu'il y ait un chef dans l'état, pour empêcher qu'il n'y ait plusieurs tyrans. 11 faut qu'il y ait une dynastie héréditaire , pour écarter les usurpateurs, il faut qu'il y ait un mouvement régulier , pour assurer notre repos et notre liberté. C'est ainsi qu'avec des phrases dorées et des so» phismes captieux , les royalistes sont parvenus à séduire les esprits , à corrompre l'opinion , à menacer la république d'une destructi n pro- chaine et inévitable. Je sais bien qu'on y met- tra bon ordre. Et comment cela ? en opposant aux royalistes des conspirateurs plus actifs. §• II- Conspiration des Jacobins. Monstrum horrendiim, iuforme, ingens, cui lumea Ademptum. ( Virg. ) Les jacobins î Ce mot a encore quelque chose d'effrayant, malgré l'habitude. ( I ) Il n'y a à^ égalité ^onv les hommes qu- devant Dieu. Mais il est bon de leur dire qu'ils ea trouveront l'image devant la loi. 4- (32) Je dis encore, parce qu'il faut y penser pour eu sentir toute la profondeur. Nous sommes si légers , que nous reléguons déjà Robespierre dans le pays des monstres fabuleux, quoiqu'il ne soit mort que d'hier. Ses héritiers n'ont pas renoncé à sa succession ; c'est pourquoi ils conspirent, et contre qui? tantôt contre les royalistes, et tantôt contre le gouvernement. Le gouvernement qui vient de tomber ( le directoire) faisait semblant de les craindre en public , et les encourageait en secret. Il ne les désignait jamais que sous le nom d'anar- chistes , et j'en sais bien la raison. C'était une ruse plutôt qu'une erreur. Les jacobins n'aiment pas plus l'anarchie que Buo- naparte et Syeyes ; mais ils ont besoin d'un moment d'anarchie pour arriver à la place des gouvernants. S'ils attaquent les lois , c'est pour en faire d'autres à leur profit ; s'ils épouvantent les propriétaires, c'est pour le devenir à leur tour. Que font-ils en cela, dont ils n'aient reçu l'exemple et la leçon ? L'exemple , dans les fameuses journées du 14 juillet, du 10 août et du 18 brumaire; la leçon, dans ces mémo- rables paroles : l'insurrection est le plus sacré des devoirs. Qui a dit cela le premier? Ce n'est donc ni le désir de s'emparer du (53) pouvoir , ni l'abus qu'ils en ont fait , qui mé- tonne : le désir et Tabus sont dans la nature , comme toutes les passions et leurs excès. Ce qui m'étonne , c'est la docilité avec la- quelle ces hommes , si terribles dans leurs propos , déposent leur fureur , dès que ceux qui les emploient n'ont plus besoin de leurs services ; ce qui m'étonne encore , c'est l'alter- tiative d'épouvante et de sécurité qu'ils nous inspirent , suivant qu'on a besoin de leur éloi- gnement ou de leur présence. Qu'ils conspirent, cela n'est pas douteux ; mais que ceux-là mêmes qui ont besoin de leurs complots , et qui les encouragent , finissent par en avoir peur, voilà qui est étrange. Louvet n'avait pas si grand tort , en disant que les jacobins et les royalistes se donnaient la main. Ils se donnent la main , comme les enfants qui jouent à la bascule; ils se rapj)ro- chent, comme les deux extrémités d'un arc , que l'on tend , pour le rendre meurtrier. 11 n'en est pas moins vrai que les jacobins n'aiment pas plus les royalistes de vieille roche, dont ils redoutent la vengeance, que les ré- publicains de fraîche date, dont ils ont à punir la félonie. Peut-être même gardent-ils plus de rancune à ces derniers , par la raison qu'entre parents (54) les haiues sont plus ardentes. Ils conspirent conli e les royalistes , quand le gouvernement les appelle autour de lui ; ils conspirent contre le gcuvernenienl, quand il les éloigne. Celte double conspiration a des allernalives irrégulières de repos et d'action qu'il fiuit étu- dier dans les événements; c'esl-à dire, que les rojalisles peuvent être tranquilles quand le gouvernement prépare un 18 brumaire, et doivent trembler quand il a besoin d'un 18 fructidor. §. IH. Conspiration de Buonaparte. Des premiers mouvemenls spectateur immobile, II veut ravir les fruits de la guerre civile, Sur nos communs dcljris établir sa grandeur. ( Voltaire , CaUlina. ) Que les royalistes et les jacobins se disputent les débris de la monarchie, c'est de bonne guerre qu'ils y vont ; et le succès du vainqueur, en ôtant pour toujours au vaincu et l'espoir et les moyens de le troubler dans sa jouissance, ennoblira son établissement. Mais qu'un tiers parti, composé de lâches déserteur& des deux autres, qui n'a ni les droits du pienner, ni l'audace du second, ait conçu ridée et trouvé le secret de profiter de leurs débals et de leurs méprises, les ait excités. (55) échauffés, inquiétés et battus les uns par les autres, sans que ni les uns ni les autres aient ouvert les yeux sur le scandale, l'indécence et la singularité de cet artifice, voilà certes un des problèmes de la révolution qui nous pa- raît le plus difficile à résoudre. Dans ce temps-là, le gouvernement tâtait avec une sorte de timidité l'opinion publique; tantôt en faisant circuler le bruit qu'il avait rintention de rétablir le trône des Bourbons; et tantôt en faisant répandre des brochures qui tendaient à prouver que le gouvernement mo- narchique était le seul convenable à la France. Voici à cet égard deux faits curieux et peu connus. Buonaparle donna lui-même le canevas d'une brochure, qu'il fit composer sous ses yeux, et qui parut sons le titre de Parallèle de César ^ de Cromwell et de Buonaparte. On se doute bien que, dans ce parallèle, l'a- vantase lui restait tout entier; mais ce n'était pas là le but principal de l'ouvrage. 11 essaya d'y prouver deux propositions : la première, que le gouvernement monarchique éùaiù le seul qui convint à la France ; et cela n'était pas difficile à établir : la seconde, que Buona- parte était le seid homme en état de le relever et de le maintenir ; et celle-ci ne trouva que (56) des incrédules, et fit des mécontents. M.Fouché, ministre de la police, lui rendit un compte exact de cette impression; et, de concert avec lui, paraissant croire que cette brochure, qu'ils avaientfait tirer à cinquante mille exem- plaires, était l'ouvrage des royalistes , ils la firent enlever un beau matin par leur agents, et publièrent que c'était un bbelle infâme, cri- minel et contre-révolulionaiie. Dans le même temps, Mad. deChampcenets, qui voyait souvent Buonaparte, alla trouver M. Michaud, auleur (\qs Adieux à Buona- parte (i), et le pria de rédiger un mémoire, pour prouver qu'il était de l'inlérét et de la gloire du premier consul de rendre le troue de France aux princes léu,itimes. Ce mémoire lui fut re- mis; et lorsqu'il en eut achevé la lecture, il se contenta de dire, dans ce langage trivial qui lui était familier : la poire n'est pas mure. Mad. de Champcencis fut exilée quelque temps après, et mourut dans son exil (2). Le grand art de Buonaparte, et peut-être le seul qu'il ait employé pour affermir son pou- ( I ) Ouvrage écrit avec auf .ml d'esprit que d'èlégance , et dans lequel l'.iuteur donnnil à Ruon.ip.ule d'utiles conseils, en lui faisant entrevoir une rliulc ine'viiable s'il ne les suivait pas, (2) Ce dernier fait est extrait des Adieux à Buonaparte. (57) voii', était de tenir en continuelle fermentation les rivaljlës, les jalousies, les inquiétudes, les vengeances, les passions haineuses et cupides. Il savait occuper ses ennemis et ses amis à leur mutuelle désolation, tandis qu'il forgeait nos fers en secret, et qu'il établissait son em- pire sur la frayeur des uns, sur la cupidité des autres et sur la sottise de tous. Il avait raison sans doute de veiller à sa sû- reté; mais est ce bien veiller à sa sûreté que de troubler incessamment celle des autres? et ne pouvait-on pas lui apprendre, que l'homme dont le salut ne repose que sur la perte de cent mille autres, est un ennemi du genre hu- main , dont cent mille hommes doivent mé- diter la perte? (i) Je conviens que , pour assurer sa propre tranquillité, il avait raison de punir ceux qui la troublaient j mais il aurait eu cent fois plus raison , s'il ne les avait pas excités lui-même à la révolte, pour avoir occasion de les punir. Je conviens enfin qu'on ne fait pas la guerre sans hommes et sans argent: mais étouffer les générations dans leur germe, et dessécher tous (i) « Nous ne valons rien pour conspirer, disait Moreau j raais je connais un conspirateur auquel Buonapaife n'échappera pas : c'est lui-même ; il se perd en nous perdant » (58) les canaux du commerce dans leur source, était-ce un bon moyen d'avoir de Targeut et des hommes? D'où je conclus que Buonnparte conspirait, 1°. contre notre bourse ; 2". contre notre liberté; 3<^. contre notre repos. 11 conspirait contre notre bourse, lorsqu'après avoir dévoré les quatre cinquièmes des biens nationaux de la France, il livi ait l'autre cinquième au pressoir de ses agents fiscaux ; lorsqu'il ne multipliait les loix prohibitives que pour vendre la per- mission de les enfreindre; lorsqu'il établissait, sous le nom de droits léiinis , des taxes arbi- traires sur les actes publics, et sur les denrées les plus nécessaires à la vie ; lorsqu'en fer- mant ses ports aux étrangers, il forçait les étrangers à fermer toute issue à l'écoulement de nos denrées. Il conspirait contre notreliberté, lorsqu'après nous avoir enlevé celle de parler et d'écrire, il preuait lui-même celle de faire des lois, de nommer à toutes les places, de violer le secret des postes et l'asyle de nos maisons, de s'em- parer des spectacles et des journaux, de nous incarcérer sans motifs, de nous déporter sans jugement, et de faiie fusiller tous ceux dont il redoutait ou la censure ou les talentSt Il conspirait enfin contre notre repos, lors- (59) que, non content de nous mettre aux prises dans rinlérieur, il proloagait, de gaîté de coeur, la i^ucrre avec l'Angleterre; lorsque, dans l'impuissance de se faire aimer, il ne songeait qu'à se faire craindre, en comnui- niquaut tantôt ses frayeurs et tantôt ses res- sentiments à celui des deux partis qu'il avait trompé par de feinte caresses, afin de punir l'autre qu'il avait révolté par de criantes in- justices. De là résultait, i*'. une grande instabilité dans les actes du gouvernement; 2°. un dé- couragement absolu dans l'esprit des gou- vernés. L'instabilité se faisait sentir, non-seulement dans les lois, qui ne sont, en révolution, que les fruits passagers de la victoire, mais dans le commerce de la vie, dont tous lès ressorts se détendaient par la fatigue ; daus les éta- blissements de l'industrie, sans cesse arrêtés par des vexations nouvelles , ou découragés par des tracasseries imprévues; daus la morale, dont les bases antiques et sacrées étaient ébranlées par le fatalisme qu'il professait, et par l'absence de toute religion qui en était la conséquence ; dans la politique, dont les maximes étaient subordonnées à l'intérêt du jour; et jnscpie dans les affections domestiques, qu'une inquisition (6o) farouclie ne manquait pas de rompre ou d'al- térer, dès qu'elles inspiraient de rombraf»e au tjran. A quelles inquiétudes ne devaient pas être livrés ceux qui réQéchissaient que dans tous les gouvernements possibles, la garantie des citoyens repose moins dans leur constitution que dans la probité du prince; et que le salut du nôtre exigeait impérieuseraen t qu'il se clioi sî t des conseillers parmi ses complices, sous peine de trouver des juges inexorables dans ses agents et ses conseillers? Ainsi chacun, pénétré de ses maux parti- culiers, ne prenait plus de part à ceux de la grande famille. Ainsi les citoyens se trouvaient isolés les uns des autres, et le gouvernement était lui-même isolé des citoyens. Ainsi nos victoires et nos défaites, les con- suls et le sénat, les conspirateurs et la police, la république et la monarchie étaient devenus ]iour le peLq)le les objets d'une profonde iu- différeuce. Tel fut le pamphlet que nous arracha l'im- jialience du joug; et dont la lin, plus sérieuse que le commencement ne semblait l'annoncer, nous fait rentrer naturellement dans notre sujet, c'est-à-dire dans les mœurs du temps. (6. ) CHAPITRE VIII. Tableau de Paris, en 1802. i^UE faisait-on alors à Paris? on s'étoimlis- sait sur l'avenir , on s'amusait , on jouait très gros jeu j on valsait à merveille , on donnait des repas spleudides; on n'entendait parler que de fêtes , de bals et de spectacles ; jamais il n'y eut autant de concerts , de jardins publics , de feux d'artifice, de traiteurs, de limonadiers, de marchandes de modes et de marchands de vin. C'était une sorte de phénomène que ce luxe extraordinaire , et cette prodigieuse variété d'amusements née tout à coup au sein de nos agitations politiques, pendant une guerre dé- sastreuse, et à la suite d'une révolution qui n'aurait dû laisser dans le coeur des uns que des remords, dans celui des autres que des re- grets, dans l'esprit de tous que des souvenirs mélancoliques. Pouvait-on considérer , sans un étonnement mêlé de chagrin, ce magnifique appareil d'opu- lence qu'étalaient à l'envi toutes les classes au milieu de la détresse publique , cet esprit d'in- (62) souciance sur la cliose publique, et celte soif incxtin^uible de l'or unie à l'amour des plus folles dissipations? Un jour suffisait pour créer des fortunes co- lossales, qu'un autre jour voyait renverser de fond en comble. Tel sorti de l'humble galetas de son père , logeait quelques jours dans un des palais du faubourg St. -Germain, et allait mou- rir à l'hôpital ou au fond de l'eau. Tous les jours et dans tous les quartiers le son de quelques violons discordants appelait dans les tavernes, converties en salles de bal, les artisans, les soldats, les grisettes ; tandis ([ue les salons, métamorphosés en autant de salles d'opéra , se remplissaient toutes les nuits de femmes charmantes, vêtues comme les grâces, et dansant comme des nymphes. Dans les tavernes, on rappelait les goùfs et les principes de la révolution , on conservait dans sa pureté originelle le ton, le langage, le costume et les manières des sa?is-culoUes. Dans les salons, on écartait avec soin , et même avec dédain, tout ce qui rappelait les souvenirs et les images de la république; on s'efforçait d'imiter le ton de l'ancienne cour, on se croyait revenu à celui de la bonne com- pagnie. Lesspectacles étaient suivisavec fureur. Mais (63) îà ce n'était pas comme au bal ; chaque rang n'avait pas son théâtre particuher ; tous les rangs étaient confondus chez INicolet comme à rOpéra. Le peujle, qui n'allait autrefois qu'aux spec- tacles du boulevard , se piquait dans ce temps- là d'aller à l'Opéra, aux Italiens, et même aux Français ; non qu'il eût gagné quelque chose du côté de l'instruction, ou que ses goiits fus- sent devenus plus délicats ; mais il avait perdu le sentiment de son humble position, et acquis pendant la révolution le cynisme des esclaves révoltés. La cherté de la main-d'oeuvre , effet d'une mauvaise police autant que de la dissémina- tion des biens nationaux , avait répandu dans les dernières claSvSes de la société une aisance momentanée , qui tourna au préjudice de leurs moeurs, et permit à l'artisan de satisfaire ses penchants pour la débauche grossière , en même temps que sa curiosité pour les plaisirs accoutumés des riches. Nous avons déjà laissé entrevoir notre opi- nion sur la nudité des femmes» qui forma ua des traits caractéristiques de cette épofjue , et qui , par cette raison, exige de notre part quel- ques lignes de plus. « Jamais peut-être l'élégance et la commo- ( '■'+ ) dite ne se sont mieux réuuics pour choisir le costume des femmes qu'aujourd'hui , écrivait alors un médecin (r.) ^^ ^^ resterait qu'un vœu à former, ce serait que la deceuce eût été ap- pelée à ce conseil. » «Et comment, disait un autre médecin (2), pourrais-je garder le silence sur les maux que niulliplie chaque jour un prestige incompréhen- sible malgré la durée de son empire? Comment pourrai-je effacer de ma mémoire cette jeune personne qui, brillante de toutes les grâces et de la force de la jeunesse , jouissant à six heures du soir de la plus belle santé, est entraînée, sous le costume de la presque nudité, dans ces fêtes que Ton pourrait avec raison comparer aux saturnales des Romains, et rentre à minuit, saisie de froid, la gorge sèche, la poitrine op- pressée, déchirée par une toux violente, et perdant bientôt la raison, en proie au feu dé- vorant de la fièvre, ne recevant de notre art , qu'elle implore, de légers soulagements que pour expier, dans les longues souffrances de la phthisie, et dans une fin prématurée , l'impru- dence d'avoir exposé à tous les regards ce que la modestie lui ordonnait de voiler? w (1) M. Marie de St.-Ursiii. (2) M, Deàcssartz. (63) Ce n*était point una crainte value qu'ex- primait ici le ^eslor de la médecine. Trop d'exem{>!es confirmèrent ses presap;es funesles. Madame Ch. de INoailles moiirul à dix- neuf ans , eu sortant d'un bal , où, après quinze jours de couches , e!le s'était exposée piescfue nue , et dans le costume de la mode. Dans le même temps, mademoiselle de Joigne , âgée de dix- huit ans , et mademoiselle Chaptal , âgée de seize, furent enlevées par la même cause à la tendresse de leurs parents. Dans le même temps encore , la princesse russe Tnfaikiu , âgée de dix-sept ans, mourut à Saint-Pétersbourg, de répidémie des modes françaises, et pour avoir livré ses jeunes appas à l'inclémence de la sai- son , sous le costume dangereux qui aurait fini par dépeupler Paris et Pétersbourg de jeunes femmes, si l'exemple et la rétlexiou n'eu avaient pas obtenu la réforme. Buonaparte voyait avec satisfaction ces iu- conséquences, cette dissolution dans les moeurs, ce luxe corrupteur , ce goût effréné du plaisir, ces désordres dans les fortunes, parce qu'il pen- sait que toutes ces causes devaient produire tôt ou tard une sorte de dégénéralion dans le ca- ractère national, affaiblir la résistance des mé- contents, et détourner les regards des observa- teurs du plan d'envahissement qu'il suivait avec persévérance. 5 (66) CHAPITRE'IX. Buonaparte est noimné consul à vie. Ci EUX qui avaient pris la peine d'étudier la première conslitulion consulaire, n'avaient ja- mais cru à sa durée : ils avaient sous les yeux l'exemple des sept à huil constitutions précé- dentes ; mais dès quelle était l'ouvrage de Buo- naparte, etqu'il avait juré de la respecter, ceux qui s'étaient fiés en ses promesses n'étaient-ils pas en droit de lui reprocher les actes où il la foulait aux pieds, sans autre formalité que celle de mélamorphoser le sénat conservateur en sénat violateur ^i^l On s'était grandement trompé sur l'institu- tion du sénat : on avait cru pendant quelques jours que ce premier corps de l'état serait le contre-poids du pouvoir absolu j on ne larda pas à s'apercevoir qu'il n'en était que le vil auxiliaire. La ])rcmière fois qu'il fit parler de lui, ce fut celle où, s'érigeant en tribunal révolution- naire, il déclara, au nom du peuple français, qu'aiin de mieux conserver la conslitulion il était nécessaire d'en suspendre l'exercice en- ( I ) Uii étranger, M. Sclilcgcl , appelait le scual de France l« conservatoire impérial de lajlatlerie. I (6?) vers les cent trente individus soupçonnés d'avoir pris part aux. nombreuses conspirations dont nous avons parlé plus haut. Sur le soupçon d'avoir participé à l'un de ces complots, cent trente individus furent donc, par un sénalus-consulte , condamnés à la dé- portation , c'est à-dire, à la plus giaude peine qui soit prononcée par notre code criminel , après cello, de mort ! Une autre violation de l'acte constitutionnel, moins frappante, peut-être, mais plus grave dans ses conséquences, fut l'expédient auquel eut recours le premier consul pour renouveler sur le tribunal et le corps législatif l'épure- nient qu'avaient éprouvé les deux conseils au 1 8 fructidor. En ajoutant ainsi à la prérogative de faire élire pour tribuns et pour membres du corps législatif les hommes qui lui convenaient, celle de destituer les hommes qui ne lui convenaient pas , il s'assurait les moyens de rendre les deux corps muets par le fait , comme le second l'était déjà par le droit. Je ne sais pourquoi il s'arrêta en si beau chemin , et pourquoi il ne les renvoya pas tous chez eux , et tribuns et législateurs et sénateurs. Par cette opération, il aurait économisé quel- ques millions , et la nation n'en eût pas été fâchée. 5.. (68) . En ne se délivrant qu'à demi de rimporlii* nitë des contradicleurs, il fit un mauvais cal- cul. Jusqu'alors l'opposition des tribuns avait été si modérée, qu'elle n'avait pas mis le moiiw dre obstacle à ses desseins, et il conservait par fille une apparence de liberté favorable à ses vues. S'il était fonde à les écarter comme ayant outre-passé les limites de leurs poutoirs, nous devions penser que toute espèce d'opposilioa allait devenir criaiinelle , et nous devions ea conclure qu'on ne prendrait plus désormais la peine de nous tromper parles formes accoutu- mées de la constitution. Cbaque jour nous ea fournissait d'ailleurs une preuve nouvelle j cbaque jonr il arrachait un feuillet de celle cbartequi, suivant les expressions de Buona- parte lui-même, élait/c>«^«?'e sur les principe^ immuables du gouvernement représentatifs 9ur les droits sacrés de la propriété , de l'éga^ lité et de la liberté, ( Arrêté des consuls , 21 frimaire an 8. ) C'était sans doute pour se moquer de nous ^ qu'il parlait encore des droits sacrés de lapro' prié té , quand il perpétuait en même temps le séquestre des forêts qui appartenaient à des Français déclarés non émi^rrés. C'était pour se moqueir de uous qu'il parlait (69) ûc propj'iétés y qnixnâ. il autorisait la caisse tramortissement à s'emparer du produit des JDois des communes. C'était pour se moquer de nous, qu'il s'em- parait lui-même du château de Saiut-Cloud après l'avoir refusé de la main des trihuns, qui, à la vérité , n'avaient pas plus le droit de le lui offrir qu'il n'avait celui de le prendre. C'était enfin pour se moquer de nous , qu'il déférait à son conseil d'état le pouvoir de cas- ser les arrêts du tribunal de cassation , etc. , etc. Yoilà où en était déjà la constitution de l'an 8 vers le milieu de Fan lo, et bien avant le temps où le sénat, qui faisait toujours plus quoit ne lui demandait ( i ) , la réorganisa complè- tement en la renversant de fond en comble. Nous voici donc encore condamnés à l'é- preuve d'une nouvelle constitution! La pre- mière avait nommé les consuls pour dix ans; ceile-ci les nomma pour la vie. La première avait déclaré que la nomination des sénateurs se ferait par le sénat; celle-ci dé- féra ce droit au premier consul. ( I ) Expression de Buonaparte , tire'e de sa dernière procla- mation à Fontainebleau, et qui nous a paru assez curieuse pour être insérée par anticipation dins notre ouvrage. Voyez les Pièces justificatives j N'. IL (7") La première avait composé le tribnnat de cent membres, la seconde le réduisit à ciii- quanle. La i^remière avait ordonné que tout citoyen arrêté pour crime de conspiration serait mis en liberté, ou en justice réglée, dans le délai de dix jours; celle-ci laissa le sénat maître de déterminer le temps dans lequel les prévenus seraient admis devant les tribunaux. Ce dernier article fut celui auquel on fit le moins d'allenlion; et c'était celui qui en méri- tait le plus : car il mettait , d'un Irait de plume, tous les Français Jioj^s la loi. Et n'était - ce pas les mettre hors la loi, que de les mettre à la disposition d'un ministre delà police (i) plus^-despote, par le fait, et plus absolu que son maître, afin de lui faire mieux sa cour ? JN'élait-ce pas nous mettre hors la loi, que de nous priver, sous le moindre prétexte, de notre liberté individuelle; de cette liberté si douce , fjui n'est sujette à^ucuu abus, sans la- quelle tous les autres biens de la vie ne sont (i) M. Savary n'avait que deux mots à dire à tous ceux qui ne ployaient pas le genou devant lui : Je vous enverrai à B.i- cctre , je vous ferai pourrir dans un cachot. (70 rien , et sans la possession de laquelle il est inutile et même absurde de réclamer des cons- titutions et des droits politiques, puisque ceux- ci ne sont destines qu'à lui servir de rempart? Qu'un préfet de jx>lice ait pris de là son texte pour dire au premier consul , « que le grand problème de la révolution était résolu , et que la France, dans ses vastes limites, ne contenait plus que des hommes libres et dignes de rétre,»> je conçois cela : le préfet de police faisait son métier, et devait se féliciter de voir renaître le régime des lettres de cachet. Mais ce qui bouleversa toutes nos idées fut de voir les corps judiciaires, que cette loi orga- nique dépouillait de leur plus bel attribut, se mettre les premiers sur les rangs pour aller re- mercier Buonaparte de ces prévoyantes insti- tutions , qui restituaient au peuple français V exercice régulier de ses droits^ et achevaient y en les consolidant , le bienfait de la révolu- tion. ( Discours du président du tribunal de cassation. ) Et remarquez que Time de ces prévoyantes institutions déléguait au sénat le droit d'annul- 1er les arrêts du tribunal de cassation ! Le corps législatif alla, de son côté, remercier le premier consul à''avoir médité en silence ce nouveau bienfait y et d'avoir donné à la repré- (70 sentatlon nationale un caractère plus par- fait (i). Le premier consul répondît à ce compli- ment par nne de ces phrases banales qu'il avait toujours à la bouche, et auxcjuelles il n'attachait aucun sens. « La stabilité de nos institutions, dit-il, as- sure les destins de la république. » S'il y avait rélléchi, comment aurail-il pu, sans rougir, ou sans éclater de rire, parler de Ja stabilité de nos institutions ^ au moment même où leur instabilité était le mieux cons- tatée ? En recevant celte nouvelle charte constitu- tionnelle , les départements^ c'esl-à-dire les préfets , sous-préfets, agents du fisc, comman- dants de place, juges et htiissiers, se livrèrent à des démonstrations de joie qui tenaient du délire j le consul à vie reçut de toutes les villes de France, et de tous les grimauds de chaque ville, des adresses de félicilation sur sa nou- velle dignité. Les uns s'extasiaient siu' sa bontés les autres sur son génie ; ceux-ci le comparaient (i) Je crois que M. le président du corps législatif se trom- pait dans cette circcnstancc , en confondant la reprc'sentatiou iialionalc avec le président dii corps législatif, qui en elTct fut très Lieu traite ^ inais^ hors lui , personne ne s'y méprit. (73) à Solon, et ceux-là à Dieu. Toutes les plati- tudes de réloge, et toutes les bassesses de la servitude furent épuisées (i). Si Ton nous demande maintenant, par quel charme cet homme était venu à bout de fasci- ner les yeux des Français, au point d'en faire autant d'adorateurs du grand Lama , et de bou- leverser, non-seulement sans obstacle, mais aux applaudissements de la nation , les institu- tions et constitutions qu'elle avait adoptées, la veille, avec les plus vives démonstrations de joie? Je répondrai que la nation était tout-à-fait élrangère au tripotage qui, d'un côté, fabri- quait des constitutions à la journée, et de l'autre, fondait une nouvelle confrérie d'^^-^o- ratloîi perpétuelle. Soit lassitude des révolutions , soit dégoût de la liberté, soit mépris profond pour tous ceux qui, après avoir été ses apôtres les plus fanatiques, en étaient alors les plus lâches dé- serteurs, la grande majorité de la nation lais- sait faire et dire tout ce qu'on voulait en ce (i) L'histoire que nous écrivons se compose en grande par- tic de toutes ces platitudes. J'en demande pardon à mes lec- teurs ; mais il faut (ju'ils se résignent à les dévorer ou 4 jeter la livre au feu. (74) genre, sans y prendre d'autre part que celle dé regarder en silence ce qui se passait sur la scène. Aucune voix ne se mêlait aux voix qui criaientloutela journée : Salut au dieu Midas; parce que l'indifférence ou la peur avait étouf- fé toutes les voix libres. Les adresses de félici- tation , d'ailleurs , étaient faites à Paris, dans ]es bureaux du ministre de l'intérieur, en- voyées aux autorités constituées, et renvoyées par celles-ci au tyran , qui , au fond de son ca- binet , s'enivrait de leurs éloges , et méditait des crimes nouveaux. (7S) CHAPITRE X. Kxpédidon de St. - JDomingue ; Jiistoire de Toussain t-Louvertiire. J^iApaix crAmiens venait d'élre signée entre les Anglais et lui (i). Cette paix laissait enfin la mer libre à nos vaisseaux , et à Buonaparte la faculté de consommer un projet qu'il rou- lait dans sa tête depuis quelques mois; celui de reprendre St.-Douiingue, et de nous affran- chir du tribut énorme que nous payions aux Anglais par l'achat des denrées coloniales. Ce» projet était louable; mais les moyens qu'il en> ploya à son exécution furent détestables. (i) Par cette paix, au moins très extraordinaire, l'Angle- terre, toujours victorieuse sur mer, toujours conquérante dans les deux Indes , reconnut toutes les acquisitions de la France en Eui'ope , et rendit à peu près toutes les siennes dans les trois autres parties du monde, sans aucune compensation. Cette paix n'était, dans le vrai, qu'une transaction d'humeur, con- seillée et conclue en Angleterre par un ministère qui venait de succéder à celui auquel on devait les succès glorieux de la guerre précédente; et, de la part de Buonaparte, une trêve utile destinée à augmenter et à exercer sa marine. Elle ne pou- vait durer long-temps : aussi ne dura-t-ellc guère plus d'une année. (7G) L'ile de St.-Domin«ue, jadis la plus riche colonie de l'Europe , dans le nouveau monde , si long- temps et si ciuelleaicul dévastée par Santhonax et les noirs, était alors sagement gouvernée par un noir nommé Toussaint- Lou- \erture, que ses talents, son génie et d'émi- nents services avaient élevé au rang de ca- pitainc- général de la colonie. Buonaparle l'avait reconnu en celte qualilé, et avait accor- dé de justes éloges à son administration , dans une lettre, dans laquelle il disait : « Nous avons conçu pour vous de l'estime, et nous nous plaisons à reconnaître et à procla- mer les grands services qtie vous avez rendus au peuple français. Si son pavillon Hotte encore sur St.-Domingue, c'est à vous qu'il le doit; appelé par vos talents et par la force des cir- constances au commandement suprême, vous avez par la sagesse de votre administration dé- truit la guerre civile, mis un frein à la persé- cution de quelques hommes féroces, remis eu honneur Ja religion et le culte de Dieu , de qui tout émane. » A l'éclatatit témoignage que Buonaparle rend ici au mérite de Toussaint- Louverture, nous pourrions joindre celui d'un grand nom- hre d'Américains, qui ont vu de près et connu cet homme extraordinaire, et qui s'accor- (77) dent tous à n'en parler qu'avec estinip, c! même avec respect. Ils vantent unanimement sa bra- voure, sa justice et sa péuëtratiou. Il connaissait à fond le caractère des noirs; €t il avait précisément tontes les qualités néces- saires, non-seulement pour les gouverner, mais pour les civiliser. Quoique les noirs paraissent en général in- capables d'aucun autre frein que de celui de Tesclavage personnel , Toussaint avait eu le grand art de substituer à cet esclavage, dont ils avaient secoué le joug , Tétat moins dur des serfs à la glèbe , en Tappuyant sur un régime militaire merveilleusement organisé pour con- tenir, par la crainte des châtiments , ceux des nègres qui épiaient sans cesse l'occasion de se soustraire à l'obligation du travail , afin de se livrer à ui\e vie oisive , pour eux la première et la plus douce des jouissances. Mais Toussaint s'élait en même temps ap- pliqué à adoucir ce double joug par l'enseigne- ment de la religion chrétienne (i) , dont il sen- tait tellement l'importance, qu'il la prêchait lui-même jusque dans ses ordonnances civiles. Il avait rétabli l'exercice public du culte ca- tholique, et mis le concordat Qn pratique, (i) Sir Francis d'Iyeriiois. (78) bien long-temps avant que Biionaparte en eût conçu la théorie pour la métropole. C'est à Toccasion de sa religieuse politique « que les écrivainsde cette époque, qui voulaient faire leur cour àBuonaparle, accusèrent Tous- saint-Louverture de fanatisme et î}C hypocri' sie , deux caractères qui ne vont guère ensem- ble. Mais ceux qui l'ont connu lui rendent ce témoignage uniforme : qu'à toutes les épo- ques de sa vie, il s'est toujours montré pénétré des devoirs du christianisme, et convaiucu do son inlluence sur la civilisation des Européens. Les mêmes écrivains l'accusent d'avoir fait ]a guerre avec une extrême barbarie; d'avoir décruib -pour le seul plaisir de débruire , eb porté le fer et la flamme partout où il pouvait pénétrer (i); d'avoir égorgé enllu plus de dix mille blancs, noirs et mulâtres, etc. Mais il s'agirait de vérifier si ce qu'ils ap- pellent barbarie, n'a pas été provoqué et mérae surpassé par les Français eux-mêmes (2) ; et si Ïoussaint-Louverture a volontaireinenl cona- mis , ou s'il était en sou pouvoir d'empêcher les actes de cruauté qu'on lui reproche. En- core, pour êlre juste, ne devra-l-on juger ces (i) R;ii'])ort (lu gâic'ral Lcclcrc, (2) Sir Francis d'ivcrnois» (79) «ctes que d'après le caractère particulier cIq férocité qu'avait déjà pris et que prendra tou- jours uue guerre sous les tropiques , entre les blancs et les noirs. Un dernier reproche qu'on lui fait , et tout aussi peu fondé que les deux premiers , est d'avoir voulu se rendre indépendant de la mé- tropole. En examinant sa conduite , nous avons trou- vé, au contraire, qu'il avait toujours cherché à conserver ses communications avec la France; qu'il ne s'était emparé du pouvoir suprême, que pour empêcher ses lieutenants de se le partager; qu'il n'en avait usé qu'avec modé- ration, et pour le plus grand bien de ia colonie; qu'il ne le conservait que dans l'intention de le remettre au souverain légitime ; et que , s'il avait eu le projet de se l'approprier, loin de supporter ua long blocus de la part des Anglais, il eut recherché leur alliance avec empresse- ment ; il se fût mis sous leur protection ; il les eût reçus dans ses porls , etc. ... Il n'a rieu fait de tout cela. Tout piouve donc que , dans ses combats, dans ses négociations, dans son administration, il ne travaillait que pour la France ; et le succès de ses efforts pour con- tenir les noirs dans le devoir, et les ramener au travail , dit assez que le boa génie de la (80 ) France semblait avoir créé ce nègre tout exprès pour lui conserver celle précieuse colonie , ar- rêter les crimes de Santhonax , et les réparer. Rien ne le prouve mieux que la première lettre que le général Leclerc écrivit au premier consul , en lui annonçant son débarquement : « La culture de la colonie , dil-il , est à un degré de prospérité plus haut qu'on ne devait s'y attendre.» Certes, le capitaine qui l'avait consei-vée in- dépendante, qui, en moins de quatre ans, l'avait retirée de l'état de la plus afYrouse dévas- tation, pour la reporter à celui d'une pros- périté inespérée, méritait bien de la métropole qu'elle lui demandât ses intentions ultérieures, avant de l'attaquer à force ouverte. Mais Buonaparte, qui n'avait pas plus de titres pour gouverner la France, que Toussaint- Louverture pour commander à St.-Domingue, craignit de se compromettre en ouvrant avec lui des négociations qui pouvaient lui faire croire qu'il était son égal. 11 ne daigna pas lui envoyer un aviso pour le prévenir de ses intentions et lui annoncer l'arrivée de son beau- frère Leclerc , en qualité de gouverneur de St.-Domingue. Ce fut le général Leclerc lui- même qui fut cbargé de lui remettre la lettre du premier consul , et qui même ne la lui (8r ) remit qu'après le comaienoement des hoslilîtés, c'est à-dire , lorsqu'il n'était plus temps. Qu'on daii^ne se mettre à la place de cet il- lustre affranchi, et qu'on se demande l'impres- sion que durent produire sur sou esprit et la conduite mystérieuse du premier consul , et l'arrivée soudaine d'une flotte française, dont il ignorait complètement la dt stinaiion ! Toutes les apparences tendaient à lui faire croire qu'où voulait le surprendre , qu'on voulait l'attaquer, qu'on voulait remettre aux fers tous ses com- pagnons d'armes et lui méuie. D'après cela , doit-on s'étonner de la réponse que fit un de ses lieuten mts aux officiers mu- nicipaux du Cap , qui le priaient de recevoir en ami la flotte envoyée par la république française ? «Rien ne prouve, dit -11, que cette flotte soit envoyée par la république fiauçaise. Elle aurait pris d'autres moyens pou" se faiie connaître ; elle aurait envoyé un a>,nso : avant qu'elle entre dans la rade, la terre hràlera. » La terre brûla en effet. On se battit avec fureur; et, sans aucune déclaration de gutrre , on se fit une guerre d'extermination Ti^'us le rideau sur les scènes épouvantables de car- nage et d'incendie qui suivirent le débarque- ment du général Leclerc. Si nous nous sommes 6 (82) un peu longuement expliqués sur les moyens (in'ou pouvait employer pour les prévenir, c'est que notre tache, dans cet ouvrage, est de prou- ver que Buonaparte n'a fait que des fautes » dans les circonstances de sa vie où ses flatteurs veulent toujours nous montrer des chefs- d'œuvre de politique (i). Mais que dira-t-ou de son caractère , en apprenant la manière infâme avec laquelle il trompa, il emprisonna, il assassina le malheu- reux Toussaint- Louverture? On va voir ici l'essai des moyens qu'il employa depuis contre le duc d'Enghicn,le roi d'Espagne et le Souve- rain Pontife. On verra partout la même lâclieté et la même perfidie. Ce fut sous le même masque de douceur , sous le même prétexte de paix , avec les mêmes promesses de franchise et de bienveillance , qu'il trompa et qu'il assassina tous les ennemis qu'il n'osait atta([uer à force ouverte , ou qu'il désespérait d'assujétir à ses volontés. (i) D'autres écrivains plus experts s'occupèrent , ex /7ro- fesso , de sa politique et de ses guerres ; nous apprenons même dans l'iustant que M. Micliaud de Villctte va publier le Ta- bleau historique et raisonné des Guerres de Napoléon Buo- naparte , de leurs Causes et de leurs Effets. Nous croyons que cet ouvrage offrira un grand intérêt aux lecteurs, et men- lera Tittention des hommes du métier. (83) En continuant Je se défendre en homme de coeur, Toiissaint-Louverture ne cessait d'écrire qu il ne désirait que la paix , qu'il la voulait à tout prix , et que la guerre qu'on lui faisait était sans motif, comme sans but. Le général Leclerc,qui commençait à croire, de son côlé, que cette guerre serait plus longue qu'il ne l'avait cru , et qui même n'en prévoyait pas l'issue, se ravisa tout à coup, oublia que Tous- saint était un nègre, pensa qu'on pouvait, sans se compromeltre, négocier avec lui , consentit à le voir, et lui proposa une entrevue. L'entrevue eut lieu entre les deux camps : Toussaint s'expliqua avec francliise, se soumit sans hésiter aux conditions qu'on lui fit, re- tourna vers les siens, et leur annonça que la guerre était finie; et tel est l'empire qu'il exer- çait sur eux , qu'à l'instant même ces hommes si féroces, et qui, une heure auparavant, se battaient comme des enragés ; à sa voix dépo- sèrent les armes, et allèrent reprendre les ins-^* truments de leur travail. A peine eut-il licencié ses tioupes,à peine eut-il livré ses munitions et son artillerie, que le général Leclerc découvrit qu'il ri aval b con- sommé tous ces sacrifices que pour traîner, une sourde conspiration. « J'ai coupé court à toutes ses trames , écri- 6.. (84) vait-il à sou beau-frère, je Fai fait arrêter cl embarquer. » Le prétendu conspirateur se laissa prendre sans résistance, parce qu'il était sans défiance. Il fut arrêté comme un criminel, embarqué sans délai, et amené en France ; il fut jeté dans le fond d'un cachot d'où il n'est jamais sorti. Ou n'a plus entendu parler de lui. On sait comment les nègres, furieux d'avoir été si indignement joués , ont vengé la trahison faite à leur capitaine ; on sait par quelles affreu- ses calamités les Français qui faisaient partie de cette expédition , et ceux qui , sous la pro- tection de Toussaint , étaient restés dans la colonie, ont expié les fautes et les crimes d'un seul homme; on sait enfin que la colonie, livrée long-temps au pillage , aux massacres, à l'incendie, est retombée dans un état plus dé- plorable que celui d'où le malheureux Tous- saint l'avait retirée, et dont elle se ressentira pendant plus d'un demi-siècle. D'autres scènes non moins atroces et non moins funestes se passaient dans l'intérieur de la France. I (85) CHAPITRE XL Affaire deMoreau , de Georges et de Pichegru. Uepuis que Buonaparte avait usurpé le pou- voir suprême il n'avait pas eu un instant de re- pos. Semblable au fameux Pigmalion de Tyr, il craignait les complots des méchants et les reproches des bons. La garde nombreuse qui veillait nuit et jour autour de son palais , ne le rassurait pas plus contre la crainte des poignards que contre les cris de sa conscience : J^oh'ibur Ixion , et se sequiburque fugltqiie. « Ses yeux , sans cesse ouverts par l'inquié- tude , étaient pleins d'un feu âpre et farouche ; ils erraient de tous côtés. Il prétait l'oreille au moindre bruit ; il était pale et défait, et les noirs soucis étaient peints sur son front livide. 11 ne pouvait cacher les remords qui déchiraient ses entrailles , et il ne s'est conservé qu'à force de répandre le sang de tous ceux qu'il crai- gnait. « ( Télémaque , liv. 3. ) La machine infernale du 3 nivôse avait laissé dans son ame bourrelée des traces profondes et d'implacables ressentiments. Les Anglais, qu'il accusait d'en avoir fourni le plan et payé les (86) ouvriers, ëlaient devenus pour lui le foucl de la lerrilîle INcmésis : il frémissait à leur souve- nir , il entrait eu fureur quand il eolendait prononcer le nom du roi Georges (i). En vain la paix d'Amiens avait rapproché les deux nations, en vain les Anglais en obser- vaienl-ils exactement toutes les condilions, en vain éloignaient ils , tant dans leur conduite maritime que dans leurs discussions parlemen- taires, tout ce qui pouvait rallumer sa haine , exciter ses défiances ou blesser son orgueil. Rien n'y fit , rien ne put le calmer. 11 reprit avec plus d'ardeur que jamais son ancien plan de contre-police ; il envoya et paya à grands frais dans leur île des espions chargés spécialement de lui transmettre des notes exactes sur ce que faisaient et disaient les princes français, MM. Pichegru, Bertrand, Villot, Pelletier, Couchery et les minisires anglais. Les espions, pour gagner leur argent, écrivirent à Londres des libelles bien virulents contre lui, qu'ils met- taient sur le compte des émigrés français; ils transmellaient fidèlement les injures grossières (i) Bien (les goiis croient que relie l'ureiir n'ct.iit que dans S.1 tète, ol qu'il ne liaissait {>as |>lii.s les Anr^Iais que les Fran- çais ou toute autre nation j mais il jouait la fureur : il était co- œcdicu toute la journée. ( 87 ) qu'eux-mêmes vomissaient daus les tavernes, dans les cafés, dans les journaux, anj^lals con- tre sa personne et contre son gouvernemenl. Ils engageaient les émigrés à rentrer en France^ eu leur disant, en leur prouvant ( ce qui était facile ), que le premier consul était universel- lement haï, que la France entière soupirait après le moment où elle verrait les Bourbons remonter sur le trône , et qu'il suffirait qu'un prince de cette maison parût sur les côtes de Bretagne ou de Normandie pour faire soulever ces provinces et en faire un noyau de contre- révolution . Telles étaient leurs instructions secrètes. Un révolutionnaire fameux, nommé Méhée , se distingua dans cette infâme mission dont il a pris la peine d'écrire lui-même l'histoire (i} : à force de bassesses, de mensonges et de dégui- sements, il narvint dans les antichambres de lord Hawkesbury , de M. Hamond , de M. Ber- trand , du général Yillot^ par ses violentes dé- (j) Dans un ouvrage dont nous avons déjà parlé, et qui a pour titic : Alliance des jacobins de France ai'ec le ministère anglais y par M. Jîébée; ouvrage qui a servi de l)ase au volu- mineux acte d'accusation de M. Gérard, procureur-général du tribunal criminel de Paris, dans le procès de Moreau. C'est dans l'ouvrage d'un espion qu'on est allé chercher des preuves léga- les et des chefs d'accusation contre Moreau ! (88) clamations omilre le premier consul et les jano- biris de Fi a 11 ce, il réussit à peisuader à la livrée qu'il était un royalisie persécuté, et chassé de son pays à cause de ses opinious et de son atta- chcMientaux Bourbons. Il se fit d'abord d)nner, sous ce prétexte, quelques dîners dont il avait grand besoin : car d assure que dans les corn- mencenîcnls de sou séjour à Londres , il mou- rait souvent de faim: ensuite quelques guinées pour se vèlir , et enfin une nnssion secrète au- près de M. Diake, à Munich, auprès duquel il arriva sous le déguisement et le nom du comte de Jablouski Je n'ai pas le courage de sui- vre davantage les démarc'ies ni de répéter les mensonges Je ce misérable S^cophaule; ce que j'en ai dit suffit pour eu donner une idée- Tandis que les émigrés , échauffés par les propos et les letties des sieurs Méhée , Mont- gaillard et autres ageus de la police de Paris , preuaienl de fausses mesures pour revenir en France, la police de Paris en prenait de plus justes pour les faire tomber dans ses filets. Elle leur faisait écrire lettres sur lettres par des honniies connus et non suspects, dont on con- trefaisait merveilleusement l'écriture; on leur faisait de la France les tableaux les plus sé- duisants et les plus propres à exciter, à re- doubler leur zèle pour la cause du Roi ; ou les; (89) pressait de Vcnîr accélérer par leur présence le mouvement qui porlail tous les cœurs aux pieds des Bourbons. Il n'était pas ditfi(n!e de troniper ces honinies fiancs, mais crédules, plus accoutumés à se battre (ju'à uéi^ocier, et noblement dévoués à leur cause (i). Ils s'ennuyaient de leur exil el de leur inac- tion; ils soupiiaient api es leur famille.... lisse livient aux chimères de l'espérance, ils passent la mer, arrivent àPaiis, et sont pris comme dans un trébuchet. Ce fut au commencement de février 1804, que cette trahison fut consommée, et que cette nouvelle perfidie de Buonaparte eut tout le succès qu'il en pouvait al tendre. Un si étrange évéuement fut bientôt connu dans Paris el Ht beaucoup de bruit. Pendant un mois entier on ne parla dans les feuilles publi- ques que des nouveaux complots formés par l'Angleterre contre la vie de Buonaparte, et des arrestations qui en étaient la suite. On sema l'or (i) On alla pins loin, « on aiia jusqu'à leur porler d'iiuc ré- conciliation semblable en tout à celle qui s'effectue aujourd'hui entre les républicains el les royalistes, pour relever le trône des Bourbons, au milieu d'une constitution copiée sur celle d'An- gleterre ; on leur montra le traité de paix conçu dans ces inten- tions, rédigé avec solenn te, signé des noms les plus imposants. Ijes signatures étaient fausses. » ( De Moreav , par M. Garât. ) (9°) parmi les dénonciateurs , et les défiances dans les familles ; on fit des visites domiciliai- res , on rétablit le régime de 1793. Pendant un mois entier Paris resta en état de siège , les bar- rières furent fermées; l'inquiéludefut extrême : on ne savait ni ce qui pouvait motiver d'aussi sévères précautions, ni où elles devaient abou- tir ; cbacun se demandait tout bas et avec effroi : Qui cberclie t on ? à qui en veut on? où est rennemi ? Enfin, le 17 février , les ténèbres commen- cèrent à se dissiper. Ce jour-là ]\î. Regnault de St.-Jean d'Augely , l'orateur banal et un des grands faiseurs du gouvernement , vint lire au corps législatif un long rapport du ministre de la justice sur les événements qui nous causaient tant d'inquiétudes. Eu voici l'extrait avec de petits commentaires. « De nouvelles trames ont été ourdies par l'Angleterre. (Toujours l'Angleterre !) Elles l'ont été au milieu de la paix qu'elle avait ju- rée. ( Et Buonaparte aussi l'avait jurée!) Et quand elle violait le traité d'Amiens, c'était bien moins sur ses forces qu'elle comptait, que sur le succès de ses macbinations. (Comptait- elle aussi sur le succès des missions diploma- tiques de M Mebée?) » Mais le gouvernement veillait. (Nous avons C 91 ) vu pins haut que le chef de ce gouvernement ne dormait jamais.) L'oeil de la j^olice suivait tous les pas de reonemi. ( Et de plus sa main les guidait. ) » Georges el sa bande d'assassins élaient res- tés à la solde d'Angleterre; ses agents parcou- raient la Yendée.... ([Tandis que les vôtres par- couraient l'Allemagne et l'Angleterre. ) >5 Picbegru, dévoilé par les événements qui précédèrent le 18 fructidor, et encore plus par sa correspondance avec le général INIoreau ( correspondance dont on n'a jamais pu tirer aucune induction ni contre l'un ni contre l'au- tre) ; Pichegru avait porté en Angleterre sa haine contre sa patrie. (^ Pichegru n'avait conçu de haine que contre le tyran de sa patrie, et celui-ci la lui rendait bien.) »En l'an 8, il était avecYillot à la suite des ar- mées ennemies.... (Parce que vous l'aviez dé- porté en l'an 5. ) »Eu l'an 9, il conspirait avec le comité de Bayreuth. ( Il conspirait contre vous , qui cons- piriez contre lui. Voyez la Théorie des cons- pirations.) »En Tan i r, une réconciliation criminelle le rapprocha de Moreau. (Tout rapprochement qui tendait à déconcerter vos projets devait (90 VOUS paraître criminel , et nous paraissait avan- tageux.) » Cependant Moreau, qui devait être suspect, puisqu'il irailail secrètement avec l'ennemi de la pairie, jouissait tranquillement de ses hon- neurs, d'une fortune immense et des bienfaits de la république. (On voit que M. Régnier , grand-juge, ministre de la justice, n'aimait pas Moreau , et aurait bien voulu le dépouiller tran- quillement et sans bruit de ses honneurs, de sa fortune et des bienfaits de la république ; mais ou ne connaît pas la cause de cet achar- nement. ) (r) » Lajollais, l'ami et le confident de Piche- gru, allait furtivement de Paris à Londres et de Londres à Paris porter à Pichegru les pen- sées de Moreau , et rapporter à Moreau les pen- sées de Pichegru. ^Bieu des gens sont convain- cus que ce messager fidèle des pensées de Mo- (i) M. Ciaude-Antoine Régnier était avocat à Nancy avant Ja révolution j il fut membre de l'assemblce constituante et du conseil des anciens. Lie' avec les auteurs de la re'volution du 18 brumaire, il fut un de ceux qui arrêtèrent les mesures dé- finitives de cette révolution. H en fut récompensé d'abord par une place de conseiller d'état , et ensuite par celle de ministre de la justice. C'est un homme médiocre en tout genre, excepte dans i'arl de parvenir. (93) reau et de Picliegru ne fat pas toujours fiJèle à l'amitié.) » Un premier débarquement est opéré : c'était Georges avec huit de ses brigands. ( Ce mot de hrisands sonne mal dans la bouche d'un grand-juge , quand il parle d'hommes que la justice n'a point encore condamaés. ) » Un second s'opère sous la conduite deCos- ter-Saint-Yictor. »Un troisième s'effectue : c'est Pichegru, La- Jollais, Armand-Gaillard , Jean Marie. ( Cest Pichegru Cette phrase n'est pas française, je le sais bien \ mais c'est la faute du grand- juge, que je copie textuellement. ) » Georges et Pichegru arrivent à Paris, logent dans la même maison , voient le général Mo- reau. Le général Moreau et Lajollais sont arrê- tés ; les traces de Pichegru sont suivies avec activité. » Je dois finir par engager les citoyens de Paiis à ne concevoir aucune inquiétude. La plus grande partie àes brigands est arrêtée; le reste est en fuite et vivement poursuivi. (M. Ré- gnier, en nous engageant à calmer nos in- quiétudes, se trompait sur leur motit : elles n'avaient pour objet ni le premier consul ni ses ministres; et le premier consul Je savait bien, lorsqu'il disait : Si jamais fai eu la folie de (94) croire à rattachement des Parisiens yf ensuis bien revenu aujourd'hui: ils ont trop fait voir leurs regrets de ce que la conspiration n'a pas réussi; ils prennent la défense de Georges; ils sont fâchés qail ne ni ait pas tué. ) >> Le rapporl du grand -juge, quoique pro- noncé parla voix sonore de M. P\.egnaul t de Saint- Jean d'Angely , ue fit pas grand effet sur Tes- prit des auditeurs, et ne trouva que des incré- dules à Paris. Buonaparte avait cependant be- soin d'ébranler l'opinion : en conséquence, tous les journaux reçurent l'ordre d'écrire des philippiques sur la nouvelle conspiration , et de prouver, autant qu'ils le pourraient, que le gouvernement anglais en était complice. Voici un modèle de ce genre d'elucubra- lionj il est extrait de V Argus , et on le croit de la plume du sieur de Haulerive, employé au ministère des relations extérieures. « Un événement de la plus haute impor- tance va de nouveau étonner l'Europe. Le pre- mier consul a échappé à un infâme complot, et la France est encore une fois sauvée. U se- rait difficile de ne pas reconnaître dans cette abominable trame l'inlluence anglaise et le système de trahison constamment suivi par ce gouvernement. » INous ne hasardons point une supposition ; (95) les faits parlent. Depuis long-temps les jour- naux anglais ne cessent de calomnier le pre- mier consul (i). Même pendant le court es- pace que dura la paix, le cabinet de Londres agitait les brandons de la discorde: il favori- sait, il encourageait, il payait des écrivains incendiaires; il avait des émissaires à Paris et dans la Vendée ; il faisait publier journellement que l'armée française s'était révoltée, qu'une nouvelle révolution avait lieu, que le premier consul avait été assassiné. Ce n'était que le pré- lude de pamphlets plus atroces, tels que le Plutarque révolutionnaire j satire personnelle contre le premier consul , et dans laquelle ou attaque sa famille , les généraux et les citoyens les plus distingués de la république. On réim- prima en même temps le libelle fameux qui a pour litre : tuer in'est pas toujours assassi- ner j et, ]iar un sarcasme impudent, on le dé- ( I ) Le premier consul n'aA'ait pas la moindre idée de l'Angle- terre, ni de la nature de son gouvernement , ni de la liberté' de ses écrivains. Parce qu'il avait tous ceux de l^aris dans sa main, il croyait qu'il en e'tait ainsi du roi d'Angleterre, et il ignorait que le roi d'Angleterre était plus étranger aux rédacteurs des journaux de I^ondres que lui Biionaparte. Il croyait , ou faisait semblant de croire, que tous les articles insères dans le Mor~ nins;-Chronicle , dan-^ Y Ei^ening-Post , dans le Courrier de Londres, étaient l'ouvrage du gouvernement. (96) dia à Bnonapartc. Il faut en convenir : si ce qu'on appelle liberté en Angleterre autorise cette étrange et criminelle licence, les états de l'Europe doivent s'applaudir de ne point parta- ger les bienfaits de celle constitution préten- due incomparable. >> Que n'a-t-on pas à craindre de ces prin- cipes niacblavéliques, et comment se défendre des poignards tjue dirigent des mains aussi per- fides? Heureusement , le pouvoir n'est pas pro- portionné à la malveillance. L'Angleterie peut séduire quelques scélérats, la lie et la honte de toutes les nations ; mais la France entière se pressera autour de son magistrat suprême, sau- ra le préserver de ces attentats, et en tirer une vengeance mémorable (i). m 11 est presque inutile de répéter ici que le sénat, le corps législatif, les tribuns, toutes les autorités constituées de la France allèrent, à l'occasion de la nouvelle conjuration , se jeter aux pieds du premier consul, et lui jurer de nouveau allaciiement et fidélité; mais duns des termes si bassement flatteurs et si ridicules. (i) Buonaparte préparait, dans ce tcraps-là , un grand nom- bre de péniches , c'est- à dire des coquilles de noix , au moyen desquelles il voulait faire une descente en Angleterre, et tirer une vengeance mémorable. 1 (97) qu'où a honte cVapparlenir à une nation si dé- gradée. La réponse du premier consul au sénat est curieuse. « Depuis que ma destinée et la volonté du peuple m'ont imposé les devoirs que je rem- plis, j'ai renoncé aux douceurs d'une vie pri- vée. Ma vie durera aussi long-temps qu'Usera nécessaire que je vive pour le peuple français ; mais , ce qu'il faut que la nation sache bien , c'est que le jour où j'aurai perdu sa confiance, ma vie sera sans but et sans consolation : ce jour-là , elle sera linie. » Cette réponse, qui nous paraît aujourd'hui une vraie pantalonnade , fut vantée dans ce temps-là par des sénateurs, des membres de l'institut, des hommes qui ne sont dénués ni de sens ni d'honneur, et fut citée comme le mo- dèle du patriotisme et de la magnanimité. Rien , disait - on , n'est comparable à cette phrase surtout : Ma vie durera aussi long- temps qu'il sera nécessaire que je vive pour le peuple français. Et moi aussi, j'étais dans l'étonnenient ; et j'admirais , non la profondeur ou le patriotisme de ce discours, mais la bassesse ou l'aveugle- meut de ceux qui le vantaient avec ce feint enthousiasme. (98) • CHAPITRE XII. Suite de la même affaire. Procès de Moueaw. JLf général Pichegi'u, trahi par un nommé Leblanc , qui lui avait offert et donné un asyle, fut arrêté dans son lit , à une heure du matin. Comminges, commissaire de police, es* corté de vingt -quatre alguazils, enfonça sa porte, se jela sur lui conitue un vautour sur sa proie, le garrotta comme un vil criminel, et remmena en prison. Peu de temps après, Georges subit le même sort, mais d'une autre manière. Le g mars, à sepfc heures et demie du soir, il descendait en ca- briolet la rue des Fossés-M.-le-Prince ; trois agents de police, qui étaient sur ses traces de- puis plusieurs jours, le reconnaissent, arrêtent son cheVal, et le somment de descendre. Il leur répond par deux coups de pistolet , si bien ajustés, que deux des agents tombent, l'un mort et l'autre grièvement blessé. Georges se jette à bas de son cabriolet, et cherche son sa- lut dans la fuite ; mais en vain : il était trop I (99) bien signalé, et trop facile à reconnaître; il fut arrêté et conduit en prison. A la joie que le premier consul ressentit en apprenant que ces deux chefs étaient pris, on put juger combien il les redoutait: la conquête de l'Italie , la victoire de Ma- rengo , la prise de Rome, lui en avaient moins causé. Il dit, à cette occasion, beaucoup de sottises que ses courtisans recueillirent soi- gneusement, et vantèrent aussi maladroite- ment que sa réponse au sénat. Nous nous con- tenterons d'en citer une seule. «Les minisires du roi d'Angleterre, dit- il dans \e Alonùeur du 17 ventôse, comptaient annoncer au parlement qu'ils avaient lâche- ment fait assassiner le premier consul ; mais celui qui dispose de la vie des hommes et de la destinée des empires en avait ordonné autre- ment. Le premier consul, supérieur à tous les évéuements , tranquille au milieu de ces vaines conjurations , tout entier au bonheirr de son peuple, estplus que jamais en état d'accomplir l'ordre des destinées. Tandis que le roi d'An- gleterre est frappé de démence le même jour qu'il avait marqué pour l'assassinat du premier consul , sa nation est en proie aux alarmes, aux divisions, à la guerre civile,- le frère est armé contre le frère , la mère contre le fils ! î ! 7- ( 100 ) » A la vue de ces preuves ëclalantes de l'exis- teace d'une Providence divine et juste, on se rappelle les tableaux les plus sublimes des pro- phéties d'Isaïe ; on dit avec Daniel : Mane Thecel, phares, » Quel étrange abus d'érudition! quelle malheu- reuse prostitution des livres saints ! quel incon- cevable mélange d'insolence et d'hypocrisie, de scélératesse et de mysticité, de fausse di- gnité et de brutale ignorance de tous les usages du monde ! Et c'est à Paris, c'est à des Français, qu'un aventurier ose adresser, au nom dés Français, les injures les plus grossières au roi d'Angle- terre , frappé d'une maladie qui le rend un objet de profonde pitié et d'un respect plus tendre pour ses sujets ! Il ne craint pas de mentir impu- demment à la face de rEurope,il veut faire croire que le ciel a pris soin lui-tnéme de sa vengeance, en frappant le roi de folie le jour même qu'il devait le faire assassiner! Non: H n'est pas pos- sible de porter plus loin l'oubli de toutes les bienséances , et le mépris des hommes. L'Angleterre repoussa toutes ces injures avec dignité. Dans la séance des communes du 17 avril, lord Morpeth sollicita l'attention de la chambre sur la prétendue correspondance de l'ambassadeur anglais à Munich (M. Drack), insérée dans le MonUeur. (lOl) Le chancelier de l'échiquier prit la parole et dit: « Je dois rendre grâces au noble lord, puis- » qu'il me fournit l'occasion de repousser » ouvertement et courageusement une des plus » grossières et des plus atroces calomnies qui » aient jamais été fabriquées par une nation » civilisée contre une autre. J'affirme au noble » lord que nul pouvoir n'a été donné par le » gouvernement, qu'aucune instruction n'a » été envoyée à aucun individu à l'effet d'agir » contre les usages reçus. J'aftirnie encore , » tant pour moi que pour mon collègue, que » nous n avons autorisé aucune créature hu- » maine à se conduire d'une manière contraire » à l'honneur de ce paj's ou au droit des na- » tions. » Avec Moreau , Georges et Pichegru , on ar- rêta quarante-cinq persoimes, parmi lesquelles nous devons distinguer ]MM. Jules et Armand Polignac, Charles de Piivière et Victor Cou- chery. Leur procès fut instruit parle sieur Thuriot, ]nauvais avocat de Paris, ancien membre de la convention, juge au tribunal criminel de la Seine; ardent révolutionnaire, orateur sans talent, juge sans conscience, toujours et en. lièrement dévoué au pouvoir. M. Gérard, com- missaire du gouvernement, et accusateur pu- ( ^02 ) bllc près du même tribunal, en fit le rapport le 25 floréal an Xll (i5 mai 1804). Le général Pichegru était mort dans sa prison pendant l'iuslruclion. Le gouvernement fit courir le bruit qu'il s'était étranglé avec sa cravate; mais on crut généralement qu'il avait été étranglé par ordre du premier consul : et lien n'était plus vraisemblable, 1°. parce que Pichegru avait de terribles révélations à faire contre lui; 2^. parce qu'il conmiit l'impru- dence de s'en vanter ; 3°. parce qu'il fut dé- montré que si un homme peut aisément se pendre à un lacet quelconque, il est à peu près impossible qu'il s'étrangle avec une cra- vate, dans une position horizontale. Et pourquoi le brave Pichegru se serait-il étranglé dans sa prison? toute sa vie avait élé honorable, et ses dernières années avaient été illustrées par des victoires et par le plus noble dévouement à son Roi. Dans la lutte qui s'était établie entre lui et Buonaparte, c'était un com- bat à mort; mais si, en succombant, il n'avait rien à espérer du vainqueur le moins géné- reux qui ait jamais existé, il n'avait aussi rien à craindre déplus que la mort. 11 devait l'atten- dre; et il l'attendait, en eiïot, avec l'intrépidité qu'il avait toujours montrée suv le champ de ( io3 ) bataille. Mais il ne convenait pas aux inlérêls «le son lâche ennemi de le faire monter à Técha- fand. L'armée, que Picliegru avait tant de fois condiiile à la vicloire , ne l'eût pas souffert patiemment. On se souvenait encore de ces Ldles campai»nes de 1794 et 96, si glorieuses aux Français, dans lesquelles il lit IVssai de ce nouveau genre de guerre qui leur a procuré tant de victoires, et qui consistait à marcher toujours en avant , à employer beaucoup de tirailleurs , d'arlillerie volante et d'attaques réitérées, au moyen desquelles il neutralisait la discipline des armées ennemies , lassait la patience des Allemands, excitait l'amour pro- pre et soutenait la constance du soldat fran- çais. On se souvenait des victoires de Hacue- iiau , de Courtrai , de Mont-Cassel , de Menin , de Boxtel , et surtout de la prise d'une flotte de vaisseaux de guerre sur les glaces de la Nord- Hollande, et avec im corps de cavaleiie et d'ar- lillerie légère. On se souvenait qu'au milieu des horreurs et des brigandages commandés par les tigres qui se disaient représentants du peuple , il avait fait la guerre en brave, en homme d'hon- neur, en épargnant toujours le sang des vain- cus. Ou se souvenait qu'il avait sauvé le brave Desaix de la fureur de Saint-Just^ et Paris de& ( '04) mains des jacobins, qui le i^''. avril 1791 se propo- saient d'exploiter la marchandise^ dans le style de leur affreux argot. Sa i^loire militaire était sans tache; sa conduite politique pouvait bien exciter la haine de Buonaparte, mois mérite aujourd'hui nos éloges et notre reconnaissance. II avait le dessein de rétablir le trône des Bour- bons. Nul général à cette époque n'était plus propre à consommer celte grande entreprise: Louis XVIIÏ , si juste appréciateur du mérite des hommes, l'eu avait jugé digne, lui avait , à cet e&iet , conféré la plénitude de sa puissance et de ses droits (expressions littérales de S. M. ), et disait avec plaisir, que Pichegru al- liait à la bravoure du. maréchal de SaxCj le désintéi'essement de Turenne et la modestie de Catinat (autres expressions littérales de S. M. Voyez les pièces justificatives, N***. lil et IV); éloge magnifique , qui vaut à lui seul une oraison funèbre. Le 2.3 floréal an 12 ( i3 mai 1804), ^^ géné- ral Moreau, son illustre élève et son rival de gloire, comparut sur le banc des accusés avec Georges Cadoudal , MM. Armand et Jules de Polignac , le marquis de Rivière, Victor Cou- cbery et quarante autres prévenus du nième délit. Ce grand procès fixait depuis trois mois Ta t- ( io3 ) tenlion de Paris, de la France et de TEnrope entière. La natnre de l'affaire, le nom des ac- cusés, celui de leur accusatein-, tout était fait pour exciter la cuiiosilé publique au plus haut degré. D'un côté, Buonaparte, le i^rand-juge et le minisire de la police faisaient d'incroyables efforts pour rendre les accusés odieux ; ils avaient à leurs ordres les plumes des sieurs Montgaillard , Méhée, Barrère, et une armée d'espions; on répandait de l'argent dans les ca- barets, des calomnies dans les salons et des pamphlets dans les rues. De l'autre, l'opinion publique opposait à tous ces efforts une résis- tance inébranlable ; elle s'était hautement dé- clarée en faveur des accusés ; on prenait ou* vertement leur défense; on discutait publicrue- ment les motifs de leur disgrâce : jamais on ne parla phîs librement et plus hardiment contre les coups d'autorité, contre les abus du pou- voir, contre la tyrannie. Le tyran était informé de tout, et, dans sa rage, il ordonna à son ministre de la police de faire airéter tous les insolents qui se permet- taient de parler contre lui. Le ministre eut le courage de lui à\ve ^ c[\\ il faudrait dans ce cas-là faire arrêter boute la France. On se portait en foule dans la salle des dé- bals. Tout le monde voulait voir Georges et (io6) Moreau. Ils se dcfeadaient l'un et Taiilre avec im sang froid , un courage , une force de vé- rité qui déconcertaient les juges et attachaient vivement à leur cause tous les Sj ectateurs. Ja- mais spectacle ne fut suivi avec plus d'ardeur et n'offrit plus d'intérêt. Georges prit toute la conspiration sur son compte. Il avoua qu'il était venu à Paris, non pour assassiner ^ mais pour combattre le pre- mier consul ; il avoua qu'il avait le projet de rétablir le trône des Bourbons; et lorsqu'on lui demanda le nom de ses complices, il dit qu'il n'en avait pas. Vainement ou lui repré- senta qu'on n'exécutait pas de tels desseins sans complices; vainement le juge- instructeur employa toutes les ruses de la chicane pour lui arracher quehjue aveu contre lui même; vai- nement on lui opposa les aveux qu'on avait ar- rachés aux autres par la torture ; Georges ne se laissa jamais entamer : il répondit au juge- instructeur tantôt par des dénégations fermes, tantôt par des sarcasmes amers , et toujours avec une accablante supériorité (i). Le général Moreau ne déploya pas un moins beau caractère dans sa défense. 11 nia cons- tamment d'avoir eu des liaisons d'aucune es- ( I ) Il fut condamné à mort avec dixonse grossière et impertinente d'un des assaillants, il allait faire feu sur ces brigands ; mais le baron de Greinsteim, son pre- mier gentilhomme, lui arracha son fusil, en lui disant: « Ce sont des Français, toute résistance » serait inutile. » C'était, en effet , une petite armée française, composée d'infanterie , de cavalerie, de gen- darmerie et d'artillerie, au nombre de 25oo hommes, sous la conduite des généraux Or- dcner et Fririon : cette armée avait passé le Rhin , au milieu de la paix, était entrée dans le crand-duché de Bade, sans formalité et sans déclaration de guerre, avait pénétré jusqu'à Etienheim, avec l'ordre d'arrêter le duc d'En^hicn. Le jeune prince, surpris d'une attaque aussi violente, et à laquelle il était loin de s'attendre dans un pays neutre, et chez un prince ami, se laisse désarmer sansrésistance ; il passe à la haie un pantalon et une veste de chasse, et demande yu chef de la troupe, qui était entré dans sa (ii3) chambre le pistolet au poing, ce Cfu'lls veulent, et quel homme ils cherchent? Celui-ci , au lieu de répondre, demande avec durelé : « Quel est » cekii de vous qui se nomme le duc d'En- » ghien ?» ( Il y avait dans ce moment quatre des gens du prince autour de lui. ) Point de ré- ponse. La question est renouvelée avec une ré- voltante grossièreté. Le duc alors répondit: «Si » vous êtes venu pour Tan éler, vous devez avoir » son signalement; cherchez-le. — Eh bien, » marchez tous, reprit le commandant. » Et dans ce moment, un gendarme, nommé Psers- dor/f, se jeta sur le duc, sans le connaître, le saisit au collet de sa veste, sans ménagement, et lui répéta l'ordre de marcher. On marcha à pied toute la nuit. Le prince était en pantoutles. Le matin, au lever du soleil, ou s'arrêta dans un moulin, où, par aventure, se trouvait le bourgmestre d'Ëflenheim. Le commandant de l'escorte le somma de dé- cliner les noms de ceux qu'il connaissait parmi les prisonniers dont la garde lui était confiée. Celui-ci nomma et désigna le duc d'Engliien; ce fut alors seulement qu'il fut reconnu. Aucun motif ne l'obligeant plus à se cacher, il de- manda et obtint facilement la permission d'en- voyer chercher à Ettenheim du lin^e , des habits et de l'argent. 8 ( 114 ) Arrivés à Rheiiiau, les prisonniers, qui jus- qu'alors avaient fait route à pied , et par des clieniins 1res raholeux , trouvèrent des voilures qui les transportèrent à Strasbourg, et les dé- posèrent à la citadelle. Le général Brice de Montigny, commandant de la place, ne fut pas plutôt instruit de l'ar- rivée du prince, que, sans égard potu' ce qui pourrait en arriver, il alla, avec son état-major, lui rendre les devoirs dus à son rang, et lui té- moigner ses recrets de les lui rendre dans une si triste circonstance. Le prince parut extrême- ment sensible à cetle déférence, qui lui laissa croire que son ari'estation se bornerait là, c'est- à dire à une détention , et ([u'il resterait , en qua- lité d'otage, dans la citadelle de Strasbourg. Llélas ! celte illusion ne dura paslong-tenq->s. Dès la nuit suivante, ou le réveilla en sursaut, et on lui dit, avec dnrelé, qu'il fallait se dis- posai' à partir sur-le-cbamp. 11 demanda s'il pouvait emmener avec lui. Tosepb, son fidèle valet <]echambre; on luiréponditquenon. 11 demanda «'il pouvait emporter du linge et des liabits; on lui répondit que cela n'était pas nécessaire. Il demanda quel était le terme de son voyage ; on ne lui répondit rien. Dès-!ors il perdit toute es- pw-ance; mais, conservant tout son courage, il relève la tète avec dignité-, demande la permis- 4 ( "5) sion (le voir ses compagnons cl'înforlune, leur distribue sou argent, les embrasse, et leur dit UD éternel adieu. La voiture partit à quatre heures du niatiu,, et courut sanss'arrèterpendautsoixanle heures. Elle arriva à sept lieur js du soir aux ])orles du donjon de Vincennes. Tout avait élc calculé avec une précision perfide, pour arriver à cette lienre, ensevelir cet attentat dans les ombres de la nuit, et en assurer rexécution. L'invasion subite d'un territoire neutre, l'en* trée inal tendue d'une armée française dans la petite ville d'Ettenlieim; l'enlèvement du prince au milieu de la nuit; la grossièreté des gen- darmes chargés de l'escorter; la rapidité de la marche ; tout, jusqu'à la privation de nourriture pendant deux jours et demi , avait pour but d'af- faiblir cet indomptable courage qu'il avait dé- ployé aux champs d'honneur, et qui faisait trembler son perséculeiu' jusqu'au fond de son palais. Mais ce lâche espoir fut déçu ; le carac- tère du prince répondit à sa valeur. 11 arriva exténué de fatigue et de besoin , prit un léger repas, demanda un lit, se coucha sans se desliabiller , et s'endormit aussitôt. Heureux effet de la paix de l'ame ! le des- cendant du grand Condé dormait tranquille- 8.. (n6) ment snr un mauvais grabat, au fond d'un ca- chot, sur le bord de sa fosse , et sachant parfai- tement qu'il n'avait pas vingt-quatre heures à vivre ; il dormait ! et son ennemi , son bour- reau invoquait en vain le sommeil dans son ma- gnifique palais, entouré de cent mille hommes de gardes , et couché sur l'édredon. A minuit le prince fut réveillé, et conduit aussitôt dans une pièce du pavillon du mi- lieu , où il trouv» des militaires en grand uni- forme, assis, ayant la tête couverte et des vi- sages très sévères. C'était un simulacre de con- seil de guerre, lequel était composé, ainsi qu'il suit , des citoyens Ilullin , général de brigade , commandant les grenadiers à pied de la gar- de , président ; Guiton , colonel du i". régi- ment de cuirassiers ; Bazancourt , colonel du 4«. régiment d'infanterie légère ; Barrois , co- lonel du 1'!^^. régiment de ligne ; Rabbe , colo- nel du 2«. régiment de la garde municipale de Paris ; Dau ton court , capitaine de la gen- darmerie d'élite, faisant les fonctions de rap- porteur,- Molin, ca])ilaine au i8«. régiment, greffier : tous nommés par le général Murât , gouverneur de Paris. Savary , que nous avons le malheur de rencontrer partout où il y a un crime à commettre, et le général Murât se trou- I ( "7) vaient là comme assistants , ou plutôt comme ministres plénipotentiaires des volontés de lem* maître. Le prince parut devant ces hommes avec la dignité de son rang , et la fermeté de son ca- ractère. Il répondit avec franchise et noblesse à leurs questions. Interrogé s'il avait conspiré contre laFrance, il répondit: nJe ne suis point un conspirateur. « Interrogé s'il avait pratiqué des intelligences dans la place de Strasbourg , il répondit : « Je suis soldat, et sais me battre; mais je n'ai jamais pratiqué d'intelligences dans aucune place. » Interrogé s'il avait porté les armes contre son pays, il répondit : « J'ai combattu les en- nemis de mon pays, pour recouvrer l'héritage de mes ancêtres ; mais depuis que la paix est faite , j'ai déposé les armes , et reconnu çiiil n'y m'ait plus de rois en Europe, » Les juges , frappés de tant de sagesse et d'in- trépidité , hésitèrent un moment s'ils passe- raient outre , ou s'ils écriraient au tyran pour hii demander ses derniers ordres; mais Murât ^ et Savary leur dirent qu'ils en étaient por- teurs, et montrèrent la signature du pretuier consul au-dessous de ces trois mots : condamné à mort. ( "») 11 n'y avait plus à balancer. Le prince fut conJamné à runanimité. Aussitôt après la lecture de son jugement, il demanda lui ministre de la religion ; on lui ré- pondit brutalement et avec un rire moqueur : « Tu veux doue mourir connue uu capucin ? » Sans répliquer , le jeune béros s'isole dans l'univers , s'agenouille , élève son a,me à Dieu; et, après un uioment de recueillement, il se relève avec un nouveau courage , et dit d'une voix ferme : Marchons . 11 était nue beure et demie du malin. On le fit descendre, par un escalier étroit et i^pide, dans les ravins du château , où , à la lueur des ilambeaux , il eut le loisir de considérer la fosse nouvellement creusée pour le recevoir, et les soldats armés pour le tuer. « Grâce au. ciel ^ ditil,ye mourrai de la mort d'un soldat. »> Il aperçoit auprès de lui un gendarme de son escorte, dont la figure lui paraît moins fa- rouche que celle des autres. II lui remet une lettre, une tresse de ses cheveux: et un an- neau , en le priant de faire passer ces tristes souvenirs à une personne de Paris, qu'il lui désigne. Savarv s'en apert^oit , arracbe des mains du gendarme les irois objets qu'on vient de lui remettre, et crie d'une voix frénétique , que personne ne doit faire les commis sio'ràs. Wun traître^ I ( "0) Le prince debout, la této mie, îa iioilrine découverte , le front serein , attendait Je der- nier sii^nal. <,<. Allons^ mes arnisl dit iJ.... — Tib Il a point d'amis ici! » cria le gouverueur de Pai is ; et il coiiimaude le feu. Ainsi périt à la ilenr de son âge , et au milieu de la plus belle carrière , un prince , Tor- gueil de sa famille, l'unique rejeton d'une race de liéros , le modèle des guerriers , objet d'amour universel. 11 avait reçu de la nature la plus belle figure, vme taille élevée, nu son de voix plein de dou- ceur , beaucoup d'esprit , et un goiit vif pour tous les exercices du corps. L'éducation avait perfectionné tous ces dons. Jeunesse, valeur, gloire acquise dans vingt combats , vertus éprouvées par seize ans de malheurs, tout ce oui pouvait rendre un prince recommandable , lotit ce qui pouvait le faire cbérir, fut alors ravi à la terre, et enseveli obscurément dans les fossés du château de Viucennes. Le jeune roi de Suède , qui l'avait fait récla- mer inutilement par un de ses aides de camp, le pieuT-a amèrement. Madame Buonaparte essaya d'obtenir sa gi ace ; elle se jeta aux pieds de son mari , et le supplia, i^ar tous les motifs de polilicjue et d'humanité , d'épargner un jeune prince qui ne lui avait jamais fait de ( ï^o ) mal , et qui même , disait-on , avait conçu poiip lui de l'admiration. Le brûlai la repoussa avec une grossièreté digne de lui. Les Parisiens apprirent la mort du duc avant de connaître les détails de son enlèvement , et cette nouvelle les jeta dans une conslernatioa prescpie égale à celle qu'ils avaient éprouvée le jour de la mort du roi. Hoainies et femmes , amis, ennemis, royalistes et jacobins, tous eu frémirent, tous scmbierent voir dans cet atten- tat le présage funeste de tous les maux qui depuis nous ont accablés. Tous maudirent le tyran et ses odieux com])lices. Paimi ses com- plices, le public a nommé pendant dix ans M. de Caulaincourt, alors aide de camp de Buouaparte , et devenu depuis sou grand écuyer. M. de Caulaincourt , accusé par l'Europe entière d'avoir accepté l'odieuse commission d'aller enlever le prince à Etleniieim , n'alla point jusqu'à Fittenbeim, mais resta à Strasbourg pour surveiller delà, dit-on, l'exécution de l'attentat que les généraux Ordener et Fririon s'étaient chargés de consommer. Depuis la chute de Ikionaparte, M. de Cau- laincourt a essayé de se laver de celte imputa- tion par une lettre qu'il a fiil insérer dans les journaux de Paris , et d'après laquelle sa mis- ( '21 ) sion aurait été fort élraiii^ère à l'arrestation du duc(l'En<^hieu(i) à cetlelettrc étail jointeuue copie de la répouse de Tenipereur Alexandre à M. de Caidaiucourt, ambassailciir de France à Sl.-Pétersbourg , et que sa brièveté nous per- met d'insérer ici. Pëtersbourg , 4 avril 1 808. « Je savais, général, par mes ministres eu Allemagne, combien vous étiez étranger à l'horrible affaire dont vous me parlez. Les piè- ces que vous me communiquez ne peuvent qu'ajouter à cette conviction^ j'aime à vous le dire , et à vous assurer encore de l'estime sin- cère que je vous porte. Signé Alexandre. « (i) Voici un passage de cette lettre, écrite par lui-même : « La nnssion de M. de Caiilaincourt avait deux objets; l'im était de presser le départ de la flollille que le premier consul v faisait construire, comme il en fdisait consiruire partout pour son expédition projetée contre l'Angleterre ; faiUre se rappor- iait à des intelligences que M. Drack , alors ministre ^An- gleterre à Stiitlgard, pratiquait ou cherchait à pratiquer à OJfenhourg et en France pour exciter des troubles » Je ne sais si je me trompe , mais les dernières lignes que nous avons soulignées se rapportent asstz à l'oîijct de la commission dont M. de (laulaincourt icjctte aujourd'hui tout l'odieux sur le gé- néral OrdencT. ( 122 ) IVons sommes forcés d'ajouler que celte jus- tification de M. de Caulaincourt n'a pas para complète aux yeux du public , et que , dans le même lempsqirilla publiait à Paris,onpnbllait, dans la Gazette de Leyde,\\ue lettre de ^I. de Talleyrand de-Péi igord qui en dénienlait le fait principal. ( Voyez les pièces justiJicatU'es no. VI.) Le lendemain de rcxécution , Hnllin , se trouvant cbez M. Cambacérès, rendait compte de cet événement devant trente ou quarante personnes. Après avoir confessé que le prince était mort avec un courage héroïque , il ajouta : « Ses réponses ont été fort simples; mais heu- reusement qu'il nous a dit sou nom, car, ma foi, sans cela , uous eussions été fort embarrasses à le eondamnei". >^ Nous avous dit que cet événement avait jeté l'épouvante dans Paris; le monstre ne l'igno- rait pas, et, autant qu'on peut en juger par l'audace avec laquelle il en fit publier les dé- tails, on peut croire qu'il en avait piévn l'effet, et qu'il eu avait besoin poiu- (Vancbirle dernier pas qui le séparait encore du trône. Dausl'ordre ])o]ilique el moral , connue dans celui de la nature, nous uous conservous par les moyens qui nous oui donné l'existence; ce- lui qui a commencé la sienne pai' le crime , est ( >^3 ) dans la malheureuse nécessité de la soulenlr par le cil me. Ce qui disringue le règne de Buonaparle, et ce f[ui en fait un événement unique dans l'his- toire, c'est qu'il fut radicalement criminel; aucun élément d'honneur et de vertu u'y sou- lage l'oeil de l'observateur. Dans quelle partie du monde, et sous quel prince trouvera-t-on une aussi grande quantité de délits commis en aussi peu de temps? Quelle autre page de l'histoire que la sienne vous of- frira un assemblage aussi épouvantable de bas- sesses et de cruautés , une aussi profonde im- moralité, un oubli aussi complet de toute pudeur, de toutes les bienséances, de toutes les lois de l'humanité? Lorsque je retourne, par la pensée, à l'épo- que de son couronnement , je me sens trans- porté, comme le barde sublime de l'Angleterre^ dans un monde intellectuel. Je vois l'ennemi du genre humain séant aux Tuileries , et con- voquant tous les mauvais esprits dans ce nou- veau/^rt/zr7<:e7?i07z/«772- y j'entends distinctement il rauco siion délie Tartaree trombe; je vois tous les crimes du monde accourir à l'appel , et je ne sais si j'écris une allégorie. ("4) CHAPITRE XIV. Buonaparte est nommé empereur, « Dès que BuonapartesefitnoTnmer consul à vie , chacun put juger quil avait une arrière- pensée, etprévoir un but ultérieur {^i). » Mais , depuis trois mois , tout annonçait cg but ulté- rieur, et tout nous y conduisait. Le procès de Moreau, l'assassinat du duc d'Enghien , les in- quiétudes du consul , les propos de salon , les articles de journaux, les pamphlets des rues , les adresses des départements, étaient, pour les moins clairvoyants , autant de fanaux qui éclai- raient la marche ténébreuse de l'usurpateur. 11 n'y avait pas un écolier en politique qui ne fut convaincu qu'il brûlait de se mettre une cou- ronne sur la léte, et de prendre sa place à côté , et même au-dessus des souverains de l'Europe. Mais quel titre va-t-il prendre, se deman- dait-on? Ses llatteurs lui ont dit si souvent qu'il est trop grand pour descendre jusqiiau trône des Rois, qu'une couronne royale estau- ( I ) Discours du citoyen Carnot au iribunat. (125) dessous de son mérite. Le titre de Roi est trop commun; et d'ailleurs, MM. Grégoire, Real, François de Neufchàteau, Cambacérès, Bouley de la Meurtiie et Defermonl, avaieulhautement déclaré dans de très beaux discours , qu'ils avaient ce titre en borreur. Celui de Dictateur est trop romain; il ne vent plus entendre parler des Grecs ni des Romains. Celui de Sultan est trop oriental ; il voudrait s'accommoder aux mœurs européennes, en régnant sur l'Europe» « Et pourquoi ne prendriez-vous pas celui s'i ([^Empereur, Ini dit un jour M. Rœderer? ce » titre est européen, il vous place au-dessus » des rois ; il vous assimile à Charlemagne ; il » signale une dynastie nouvelle. » « J'y pensais , répondit gravement le consul. » — Ce n'est pas assez, reprirent les flatteurs: » votre gloire vous a placé au-dessus de toutes » les gloires , il vous faut un titre qui vous » place au-dessus de tous les titres : eu prenant » cehû (V Eiiipereur des Gaules on (V Empereur » d'Occident, vous effacez l'éclat des cours de » Vienne et de Pétersbourg, vous agrandissez » la nation qui vous le donne, et vous décon- » certez sans retour les espérances des roya- » listes et la censure des républicains ( i). » ( I; Ce colloque n'est pas im artifice oratoire , c'est uu fait. ( >26 ) « Je me moque des uns et des autres, re'- » pondit Buonaparle, et je me contenterai du » titre ([^Empereur de la FvépuhUque fran- Y) çaise ; mais , quoique j'aye bien le droit de le » prendre sans l'aveu de personne, je veux » qu'on me l'offre. Vous m'entendez ?... » En conséquence, les ministres de la police, de l'intérieur, de la justice, de la guerre et des cultes , écrivirent, chacun en ce qui les con- cernait , aux prélels , aux commandants de place, aux évéques, aux présidents des tribu- naux, et leur envoyèrent des formviles d'adresses au premier consul , dans lesquelles ils devaient, tant en leur nom qu'en celui de leurs adminis- trés, de leurs subordonnés, de leurs employés, etc., le supplier d'accepter le litre à^ Empereur des Français ou de la République française. Et bientôt après, de toutes les parties de la France arrivèrent des adresses variées dans le style et uniformes dans l'objet, dans lesquelles les préfets et les maires de ville, les généraux et les colonels, les évèquesetles curés, les juges et les avocats, disaient cquivalcmmcnt : « La France était perdue, vous l'avez sauvée; » la France reconnaissante vous offre la cou- » ronnc de Charleniagne, parce que vous avez » toul es les vertus qui vous en rendent digne. » 11 serait curieux de rappeler ici les étonnantes C 127 ) variations qnc la l)assesse et la nallerle brodè- rent snr ee simple canevas. Qne criioninies, au- jounriiui fiers de leurs places nouvelles et de leurs nouvelles opinions, nous pourrions faire rouf^ir, en citant seulement, avec leurs noms, une piirase des adresses qu'à celte époque ils s'empressèrent d'envoyer à Buonaparteî U faut, dit-on, garder le silence, et oublier ces temps de Iionteuse servitude. Garder le silence ^ je le veux bien ; mais oublier, cela est impossible : le souvenir eu est ineffaçable, et, au défaut de notre plume, le burin de l'bistoire le gravera sur des tables immortelles (1). Lorsque, pendant trois mois, les voies furent ainsi préparées par les marionnettes de province, le temps des grands comédiens arriva. Ce fut le tribunat qui ouvrit la scène, parce que, suivant l'expression de M. Cambacérès (2), (0 J'ignore si sous le rcgne de Ncrva il fut défendu de parler des crimes d • Doniilien son ]ire'decessenr et de la b.issese de SCS courtisans ; mais il est au moins certain qnc l'iiistcirc parle aujourd'hui des uns et des autres avec autant de franchise que de se'vcrite. 11 n'y a point de crime impuni. (•2) M. Cambace'rès, ancien conseiller à la cour des aides de Montpellier , a joue un grand rôle dans l'histoire de notre re'vo- lution , et en est peut-être aujourd'hui aussi fàchc que nous eu avons etc nous-mêmes surpris. 11 fut successivement membre de la Convention , second consul et archi-chancelicr. 11 porta ( '^S) « le tribunat avait l'initiative républicaine et » populaire des grandes mesures de salut pu- » blic. » Le 3o avril , M. Curée, membre de cette as- semblée, lit une Jïiotlon d'ordre ^ dans laquelle il demanda q^q le premier consul fut proclamé Empereur. A ces mots, tous les échos de la salle reten- tirent d'applaudissements, et répétèrent: que le premier consul soit nommé Kmpereur. Les tribuns Simon, Duveyrier, Jaubcrt, Du- \idal, FrévilJe, Carion-Nisas , les plus pressés d'arriver à la fortune, furent aussi les plus em- pressés à parler, et à parler longuement en fa- veur de celte motion. Tous les tribuns, hors dans toutes ses places un esprit concilinnl , des vertus privées et des lumières en juiisprudence. Mais il ne sut , dans aucun temps, opposer ni cournge ans. menaces des me'chants, ni désintéres- sement aux offres de la fortune. Aussi incapable de commettre Une mauvaise action de sang froid, que d'en faire une bonne, capable dr le compromettre , il eût fourni une carrière liono- rable ilans un temps ordinaire et dans un pays tranquille ; mais il a eu le malheur d'attacher son nom à dc-ux époques désas- treuses, et d'associer ses travaux à ceux de deux monstres, avec !e caractère desquels le sien n'avait pourtant rien de com- mun. L'ambition l'égara ; il avait la vaniic des âmes faibles. Il aimait les bonneiirs et la représentation ; il tenait à ses dignités, à ses titres , à ses cordons , et aux égards qu'on accorde à ces magnififpics brimborions. ( ï29 ) M. Carnot , voulurent participer au même hoU" neur, et apportèrent leur tribut d'hommages au pied de l'idole. M. Carnot seul combattit la proposition de M. Curée, et osa dire que « si Buonaparte avait » rétabli la liberté en France, comme on ne » cessait de le répéter, ce n'était pas une récom- » pense à lui offrir que le sacrifice de cette li- M berté. » La voix de M. Carnot se perdit dans le désert. Celle de M. de Fontanes , parlant au nom du corps législatif, fut une de celles que le premier consul parut entendre avec le plus de bienveil- lance. 11 dit « que la victoire et la volonté natio- » nale ne connaissaient point et ne pouvaient » trouver de résistance; et que la victon^e et » la volonté nationale lui décernaient la cou- » ronne impériale. » Le sénat eut son lour, et dit, par l'organe de son président : « Grand homme ! » Vous êtes pressé par le temps, par les événe- ments , par les conspirateurs , par les ambi- tieux. Vous pouvez encbaîner le temps, maî- triser les événements , mettre un frein aux conspirateurs, désarmer les ambitieux , Lrari" 9 ( '30) quilllser l'univers (i) , en acceplant la cou- ronne impériale héréditaire que la nation vous offre par nos mains. » Le moyen de résister à de si pressantes solli- citations î Le premier consul, qui avait fait de toutes ces adresses l'objet de ses médi' tations les plus constantes ( message du pre- mier consul au sénat), voulut bien accepter la couronne injpériale que tant de mains lui offraient , et qu'il ne pouvait refuser , sans ébranler le repos de V univers. On rédigea dans son cabinet , et sous ses yeux , un sénatus consulte bien régulier , bien détaillé, qu'on envoya au sénat le i8 mai 1804, et que le sénat renvoya, le même jour, au château , avec toutes les formalités qui garan- tissaient son authenticité. Le même jour encore , Napoléon ^ par la grâce de Dieu , et par les constitutions de la république y empereur des Français ^ publia son avènement au trône , et envoya ledit sénalus-consulte à toutes les cours , tribunaux et autorités administratives. Celte grande affaire terminée, Tempereur composa sa cour , nomma ses grands digni- taires , distribua des places et des récompenses (i) Je n'ai pas besuin de faire remarquer le ridicule d'un pa- reil slvlc , et nous somm<'s encore trop près des événements pour en sentir toute la bnssesse. (i3i ) à tous ceux qui rayaient si bieu secondé» La nalion , qu'on mettait si hardiment eu jeu , fut non-seulement étrangère à cette oeuvre d'iniquité , mais fut révoltée des odieux ma- nèges qu'on employa pour l'associer à l'igno- minie de ses auteurs. Elle se tut. Que pouvait- elle faire , enchaînée , comme elle l'était , par des liens de fer , intimidée par la crainte d'un pouvoir sans bornes , et désunie par les arti- fices d'un gouvernement machiavélique? Mais si elle n'exhala aucune ])lainte en pu- blic , elle s'en dédommagea amplement par une haine d'autant plus vive, qu'elle était plus coDcentréCé La pensée y comprimée par la ter- reur , s'épanchait douloureusement dans les entretiens particuliers, et dans le sanctuaire domestique. Les membres de la nouvelle dynastie , les dignitaires , les altesses et les excellences étaient l'objet des plus sanglantes railleries. Ces hommes nouveaux étaient embarrassés de leurs honneurs, et n'y croyaient eux-mêmes que faiblement. Quant à moi , j'avoue que je n'y croyais pas du tout. Tout honneur vient de Dieu , dit le vieil Homère , qui parle ici comme S. Paul (i), sans (i) Considérations sur la réi'oluUon, ( l32 ) toutefois l'avoir pillé. Il ne dépeud pas de lel. ou tel homme de conférer des titres et des di- gnités; ce droit est le privilège exclusif du sou- verain légitime : à lui seul appartient /'/«o/i/zez/r par excellence, parce qu'il représente Dieu sur la terre ; c'est de lui , comme d'un vaste réser- voir, que l'honneur dérive avec nombre, poids et mesure , sur les ordres différents de la so- ciété , sur les familles et sur les individus. Lorsque le roi daignait écrire à un simple gentilhomme, M. lecomte^ ou M. le marquis ^ je vous fais cette lettre, etc. , le gentilhomme devenait comte ou marquis. 11 avait droit d'eu prendre le titre : ilenavaitles/^o/^/^eM^^,•etnGus les reconnaissions. Mais quand un Mazauiel- lo (i) ,ou un Buonaparte, distribueà ses agents et à ses complices des titres de co^7^^eJ, Ardues y àeprinces et même de rois , c'est une comédie qu'il joue : je ne vois dans les honneurs qu'il accorde, que des rôles de théâtre ; et je ne re- connais dans ses grands dignitaires que des comédiens que j'approuve , ou que je siffle , »i — _»_^_— ^— ^____^_™— , (i) Mazanicllo , pêcheur à Naples , fit en 1647, ^^^ rc'volu- tioii à peu près seinblabie à la nôtre. Sous prétexte d'affrauchic son pays de la tyrannie des Espagnols , il souleva le peuple , ouvrit les prisons, abolit les impôts, chassa les nobles , fut crnul et nicchant, et bientôt après assassine. Sa tête fut portée au l)put d'iîBc pique , et soa cadavre tiaîne' dans la boue. ( i33) comme les autres , suivant qu'ils remplisseut bien ou mal l'emploi dont ils sont chargés. De là vient le peu de considération dont jouissaient la plupart des grands dignitaires de Buonaparte , lors même qu^on leur témoignait des égards : les égards n'étaient qu'une vaine formalité , la considération tient au sentiment, et il ne dépend pas plus de nous de l'accorder à celui que nous n'estimons pas, que de l'obtenir quand nous ne la méritons pas nous mêmes. Mais si Buonaparte n'a jamais pu obtenir de considération, il savait se faire craindre. Jamais aucun prince légitime n'obtint de ses sujets une plus prompte et une plus entière obéis- sance. Il avait déjà impi^imé à son gouverne- ment une grande et forte impulsion fondée sur la crainte; il crut que son nouveau titre lui permettrait de prendre une autre assiette, et de la fonder sur l'opinion , et il se trompa. Tandis que ses ambassadeurs à Madrid, à Vienne , à Berlin, à Pétersbourg annonçaient par ses ordres la nouvelle révolution qui venait de s'opérer en sa faveur, le roi de France dis- sipait le charme qu'elle avait pour lui, et dé- truisait l'impression qu'elle pouvait faire sur tout le monde , par une protestation datée de Yarsovie le 6 juin 1804, et dont voici la teneur. « En prenant le litre d'empereur, en vou- ( i34) lant le rendre hcréditaire dans sa famille, Buonaparle vient de mettre le sceau à son usur- pation. Ce nouvel acte d'une révolution où tout, dès l'origine a été nul, ne peut sans doute infirmer mes droits. Mais , comptable de ma conduite à tous les souverains, dont les droits ne sont pas moins lésés que les miens, et dont les trônes sont tous ébranlés par les principes dangereux que le sénat de Paris a osé niettre eu avant; comptable à la France et à ma fa- mille, à mou propre honneur, je croirais tra- hir la cause commune en gardant le silence en cette occasion. Je déclare donc, après avoir au besoin, renouvelé mes protestations contre tous les actes illégaux qui depuis l'ouverture des états- généraux de France ont amené la crise effrayante dans laquelle se trouvent la France et l'Europe; je déclare, en présence de tous les souverains, que loin de reconnaître le titre impérial que Buonaparle vient de se faire déférer par un corps qui n'a pas même d'exis- tence légitime; je proteste et contre ce titre et contre tous les actes subséquents auxquels il pourrait donner lieu. %/2e LOUIS, I ( >35) CHAPITRE XV. // compose sa inaison , et travaille à se faire reconnaître par les puissances étrangdres. <* \ moins d'avoir cinq pieds six ponces, il ne » faut |)ns se mêler d'hêtre homme, disait J. J. » Rousseau. » Cttle pensée n'est pas dii^ne de son auteur. La raison, l'esprit et le génie ne se mesurent point à la taille : le fils de Philippe et le père de Charlemagne, furent des hommes, et avaient moins de cinq pieds six pouces, s'il faut en croire les historiens. Mais il est pourtant d'observation, que les hommes au-dessous de la taille movenne ont besoin d'une plus grande dose de raison que les autres, pour être simples et modestes. La nature avait refusé à Buonaparle une tailk* élevée; il était né dansla classe plébéienne et dévore d'ambition : que de raisons pour n'être pas modeste ! Sa vanité seule fut grande; il chercha tous les moyens de déguiser à ses propres yeux , et à ceux des autres , la bassesse de son origine, et ( .35 ) ,' la faiblesse de ses titres; il monla sur des Ire'- leanx; il s'eDiouia d'un éclat factice j il renfla ses joues e." sa voix. Les acadënviciens el les courtisans lui répé- lèrenl si souvent qu'il était un grand homme, qu'il consentit à le paraître. Le lendemain du jour qu'il fut proclamé empereur, on lui dédia des vers, des livres el des statues, sous le nom de Napoléon-le-Gi aîicî. Citons un échantillon de ces dédicaces. r // S. M. Napoléon-hE-GRK'SD , proclamé Em- pereur des Français , par le sénatus-consulta du 2.^ floréal an XII. Enfin , tu parais à nos yrux Revêtu du pouvoir suprême, Et de l'ëclal du diadème Brille Ion front majcslueuî î Ah! qui pourrait encor, j.iloux de la puissance, S'étonner de te voir au faîte d( s grandeurs î Depuis long-temps l'amour et la reconnaissance T'assurent l'empire des cceurs : Ce n'est pas d'aujourd'hui que ton règne commence. INapoléon-le-Grand, empereur des Français, voulut avoir une maison magnifique et digne de ses hautes desllnécs. L'ttaù de la France à la main , il voulut qu'elle i'ul composée de tous les anciens grands officiers de la couronne. 11 ( '37 ) commença par nommer des princes, puis des grands dignitaires, puis des grands officiers , et enfin des ducs, des comtes et des barons; on ne sait pourquoi il refusa d'admettre des marquis dans sa nouvelle hiérarchie. Les princes et lesf grands dignitaires de l'empire, furent : S. A I. Joseph Buonaparte, grand-électeur; S. A I. Louis Buonaparte, connétable (i); S. A. l. Joachim Murât , grand-amiral ; S. A. S. Cambacérès , archichancelier de l'empire ; S. A. S. Le Brun , architrésorier de l'état; S. A. L Eugène Beauharuais , archichancelier d'état; S. A S. Berlhier, prince de Neufchâlel, vice- connétable; S. A. S. De Talleyrand-Périgord, prince de Bénévent , vice-grand-électeur ; S. A. L le prince Borghèse, gouverneur du Piémont. Les généraux Moncey, Jourdan , Masséna, Augereau, Bernadotte, Soull, Brune, Lannes, Mortier, Ney, Davoust, Bessières, Rellerman, (i) Lucien Buonaparte, qui s'était moque' trop ouvertement de celte comédie, était alors disgracie, et par celle raison n* jamais cte prince. ( '3S ) I Lefebvre, Périgiion et Sei rurier, furent nomiLés maréchaux de rempirc. M. tle Moiîtesqiiiou-Fczcnsac, fut Domnié graiid-clianibellaiî ; Le général Duroc, grand-maréchal du pa- lais j Le général Caulaiuconrt, grand-écuyer j Le prince Bcrtliier, grand-veneui'; M. deSégur, grand-maître des cérémonies (i). On nous apprit, par la voie des journaux, que les princes et les princesses de la maison du souverain prenaient le tilre d\2ltess< im- pérlaJe; qu'on devait donner aux. ti ulaires des grandes dignités, le litre de monseigneur ; que les ministres et le président du sénat recevaient îe titre à^ excellence , tel fut le protocole de l'étiqnelle. J'aurais bien voulu voir la figure de madame Laetitia Bnonapaite, le jour oii , jouissant pour la |iremièie fois des homicurs de son rang, on lui donna le litre à" altesse impériale; et la voir encore le jour où, ces- sant de jouir des mornes honneins, elle fut appelée tout simplenient par son nom de fa- mille «, » soyez long-temps vous -même; vous navez M point eu de modèle, et vous en servirez tow ^^ jours. » J^ous navez point eu de modèle ! Rien n'est plus ^rai. Buonaparte n'eut point de modèle ; il voulut être original, et il le fut , surtout dans la création du mal. i< Né pour détruire, a dit un de nos écri- vains les plus éloquents, il portait le mal dans son sein tout naturellement , comme une mère porte son fruit avec orgueil et joie. » On a prétendu trouver dans ces derniers tenjps quelque ressemblance entre lui et Attila. Mais Allila , tel que l'a peint Werner, et, après lui , madame de Staël , était un grand homme à côté de Buonaparte. Pour vous en convaincre , voyez son portrait : «, EnGu il paraît, ce terrible Attila, au mi- lieu des flammes qui ont consumé la ville d'A- quilée : il s'assied sur les ruines des palais qu'il a renversés, et semble, à lui seul , chargé d'ac- complir l'oeuvre des siècles. 11 a comme uue sorte de superstition envers lui-même ; il est l'objet de sou culte; il croit en lui^ il se regarde comme l'instrument des décrets du ciel , et cette conviction mêle un certain système d'équité à SCS crimes. Il reproche à ses ennemis leurs (143) fautes, comme s'il u'en avait pas commis plus qu'eux tous ; il est féroce , et néanmoins géné- reux ; il est despote, ^\. pourtant fidèle cl ses promesses ; enfin , au milieu des richesses de l'univers entassées dans son camp, il vif comme im soldat, et ne deuiancle à la terre que îè plaisir de la conquérir. » Buonaparte ne fut ni i^énéreuK , ni fidèle à aucune de ses promesses. S'il vécut comme un soldat dans les camps, il mena une vie de sy- barite da?is ses pahiis. Il ne voulut pns seule- ment conquérir la terre , il voulut la dépeupler ei 1 ensa:)i»Ianler : il aimii. le sang, la vue du saoif lui plaisait ; le plus beau de tous les spec- tacles pour lui, était celui d'un chatnp de ba- taille couvert de morts; plus d'une fois il fit passer son carrosse sur des cadavres. Il avait pour tous les horamesun tel méf)ris , qu'il eut TU périr le dernier sans regret, et qu'il les eût tous immolés sans remords. Yoilà l'homme qui tut notre empereur pen- dant dix ans, que ses vils flatteurs ont élevé au- dessus de tous les héros de l'antiquité , et que M. François de IVeufcliâteau offre pour mo- dèle à tous les princes à venir ! Il fut reconnu en qualité d'empereur, d'a- bord par le roi d'Espagne , ensuite par les rois ( '44) de Nîiplcs ,cle Prusse et de Danemarck; ensuite par les électeurs de Bavière, de Saxe , de Bade, de Wurtemberg et de flesse-Gassel. Les lettres de créance des ambassadeurs de ces différentes puissances lui furent présentées «Ix Tuileries le 7 juillet 1804; et voici ce que M. de Talleyraad-Përigord , ministre des rela- tions extérieures , nous apprit à celte occasion. « Le fond et la substance des engagements qui lient les autres puissances à la France , ont été renouvelés d'une manière conforme aux relations politiques existantes de tout temps. » Quant au protocole, en reproduisant dans les communications directes de gouvernement à gouvernement, des formes agrandies et exac- tement calculées sur la force des états et sur la diguité des puissances , il a fait voir que Tem- pire français, au moment même de son insti- tution , s'est présenté aux yeux de l'Europe avec le même caractère d'élévation , et avec plus d'éclat encore que n'en avait la grande monarchie dans les beaux moments du siècle de Louis XIV. » Toutes les lettres de créance s'accordent surtout eu ce point , que les gouvernements y marquent la plus vive satisfaction de voir les destinées de la grande nation à jamais unies c 145 ) avec celles de rcmpereiir des Français. Un de ces souverains a expiimé l'opinion générale de tous , quand il a dit : »Si pendant toute l'administrât ion deV. M. T. _, l'objet de mes plus vives sollicitudes a constam- ment été de cimenter de plus en plus les liai- sons d'amitié et de bon voisinage qui m'alta- chent à l'empire français , ce désir doit être bien plus cher à mon cœur depuis le moment beureux où la dignité imjîériale a été déclarée héréditaire dans votre auguste famille, où je vois consolidées et garanties ces institutions sa- lutaires si intimement liées au bien-être et à la conservation de mes propres états. »Dalberg, » Coadjateur de Mayence (i). >5 (i) M. de Dalberg , c'iu dr- bonne heure coadjiUenr du sicge métropolitain de Mayence, et du siège ëpiscopal de Constance, fut long-temps prôné en Allemagne comme un philosophe sous la mître, et un protecteur des idées liLéraics sur le tione. 11 a mal soutenu l'épreuve de radvirsilc. Quand on est placé si haut, on doit remplir ses devoirs, ou périr à son poste. Issu d'une des plus anciennes familles de l'Europe, réunissant en sa personne la double dignité d'un prince souverain et d'un chef de l'église , il avait plus qu'aucun autre dos moyens de s'opposer au bouleversement de toutes les institutions sacre'es. A la paix de LuQe'yille, sa dignité survécut à la chute des trois 10 (146) Nous verrons dans les parties suivantes de cet ouvrage, comment ces liaisons de bon voi- sinage et d'amilié ont été conservées ; et par quels moyens les institutions impériales éta- blies par Buonaparte , ont concouru au bien- êlre des Français et de leurs fidèles alliés. antiques éleclorats ecclésiatiques. M. de Dalberg déserta succes- sivement la cause de l'empereur d'Allemagne , celle de l'empire et du pape, et la sienne même, puisqu'il consentit à designer pour son successeur à la seule souveraineté' ecclésiastique dont les traite's garantissaient l'existence en Allemagne , un e'tranger, fils adoptifde Buonaparte. Dans ses mandements , il approuva le dépouillement du Saint-Sie'ge, il imputa au S.- P. le schisme de l'cglise; il continua d'être le serviteur officieux de Buona- parte , tout cxcommuuic qu'e'tait celui-ci. Voilà ce que dira l'Lis»- toire, dont nous ne sommes ici que les faibles organes. FIN DE LA SECONDE PARTIE* ^. B. Les troisième et quatrième parties paraîtront successi- vement d'ici à la fin de l'annce. L^'V^ooo Dans l'état de l'Église 3o,ooo,ooo Dans la Toscane 8,000,000 ■ I» Total . . ^ , . . ^ i5i,i5o,ooofr. IQ„ ( >48 ) P^oh sous différents noms , et constatés. Argenterie et mobilier des églises de Lorabardie et des trois légations. . 65,ooo,ooo fr» Mont de piété de Milan 19,000,000 Monts de piété des trois légations^ de Rome et de Venise 37,000,000 Enlèvement des caisses des hôpitaux. 5,ooo,ooq Mobilier de l'archiduc à Milan et à Monza 2,000,000 Nécessaire précieux pris h Bergame . 60,000 Dépouilles des bibliothèques et mo- bilier de l'évèque de Trente 1,700,000 Contributions levées sans arrêtés à Milan et en Lombardie 28,000,000 Rançon des DécurioMi de Milan . . i,5oo,ooo Vente des permissions d'habiter leurs campagnes aux propriétaires de Milan. 2,200,000 Sac des maisons de campagne de l'état de Venise 6,5oo,ooo Volé au duc de Modène a Venise. 2,o65,ooo Spoliation des caisses publiques, à Vérone, Padoue , Venise 27, 585, 000 Sac de Rome, pillage du Vatican. , 4'^>ooo,ooo Gratifications reçues par Buonaparte et sou année à Gènes, Venise, etc. . 25,000,000 265,610,000 f. Auxquels il faut joindre la somme de 1 5 1 , 1 5o,ooo f. portée plus haut; et nous aurons pour total celle de • f^iii,')(SoyOOQ L ( 149 ) N°. IL Voici la proclamation que l'empereur publia peu ds jours avant son abdication. Fontainebleau, 4 avril i8i4' Ordre du jour. L'empereur remercie l'armée pour l'attachement qu'elle lui témoigne, et principalement ^«/re quelle re- connaît cjue la France est en lui, et non dans le peuple de la capitale. Le soldat suit la fortune et l'infortune de son géné- ral , son honneur et sa religion. Le duc de Raguse n'a pas inspiré ces sentiments a ses compagnons d'armes : il est passé aux alliés. L'empereur ne peut approuver la condition sous laquelle il a fait cette démarche j il ne peut accepter la vie ni la liberté de la merci d'un sujet. Le sénat s'est permis de disposer du gouvernement français; il a oublié qu'il doit a l'empereur le pouvoir dont il abuse maintenant j que c'est lui qui a sauvé une partie de ses membres de l'orage de la révolution, lire de l'obscurité et protégé l'autre contre la haine de la nation. Le sénat se fonde sur les articles de la constitution , pour la renverser; il ne rougit pas de faire des reproches a l'empereur, sans remarquer que, comme le premier corps de l'état, il a pris part a tous les événements; il est allé si loin, qu'il a osé accuser l'empereur d'avoir ( i5o ) changé des actes clans la publication (d'être faussaire). Le monde entier sait qu'il u'a\ait pas besoin de tels ar- tifices : un signe de sa part était un ordre pour le sénat j QUI TOUJOURS FAISAIT PLUS Qu'ow HJi: LUI DEMAN- DAIT. L'empereur a toujours été accessible aux sages re- montrances de ses ministres, ei il attendait d'eux, dans cette circonstance, une justification indénnie des mesu- res qu'il avait prises. Si Tenthousiasme s'est glissé dans les adresses et discours publics,alors rcmpereur s'est trompé; mais ceux qui ont tenu ce lanj^age, doivent s'attribuer a eux-mêmes les funestes suites de leurs flatteries. Le sénat ne rougit pas de parler des libelles publiés contre les gouvernements étrangers; il oublie qu'ils furent ré- digés dans son sein. Aussi longtemps que la fortune s'est montrée fidèle h leur souverain, ces hommes sont restes fidèles, et nulle plainte n'a été entendue sur les abus du pouvoir. Si l'empereur avait méprisé les hommes, comme on le lui a reproché, alors le monde reconnaî- trait aujourd'hui qu'il avait raison. Il tenait sa digm'lé de Dieu et de la nation : eux seuls pouvaient l'en priver; il l'a toujours considérée comme un fardeau ; et lorsqu'il l'accepta, ce fut dans la convic- tion que lui seul était en état de le porter dignement. S'il est un obstacle a la paix , il en fera volontiers le sa- frifice; et il a, en conséquence, envoyé le prince de la Moskwa et les ducs de Vicence et de Turcnte, pour entamer des négociations. L'armée ptHit être: certaine que son honneur ne sera jamais en contradiction avec le bonheur de la France. (.51) No. III. Copie de la lettre écrite -par le comte de Lille ( Louis XVlîl ) , au général Pichegru. Le 24 mai 1796, à Riegel. Il me tardait beaucoup, Monsieur, de pouvoir vou* exprimer les sentiments que vous m'inspirez depuis long-temps, et l'estime particulière que j'avais pour votre personne; mais, jaloux de prévenir jusqu'aux moindres accidents qui auraient pu troubler votre tran- quillité et compromettre les intérêts précieux qui vous sont confiés , j'ai différé jusqu'à ce jour de vous écrire. Je cède a ce besoin de raori cœur, et c'en est un pour moi de vous dire que j'avais jugé, il y a dix-huit mois , que l'honneur de re'tahlir la monarchie française voua serait réserve'. Je ne vous parlerai pas de l'admiration que j'ai pour vos talents et pour les grandes choses que vous avez exécutées. L'histoire vous a déjh placé au rang des grands généraux , et la postérité confirmera le jugement que l'Europe entière a porté sur vos victoires et sur vos vertus. Les capitaines les plus célèbres ne durent pour la plupart leurs succès qu'a une longue expérience de leur art; et vous avez été , dès le premier jour, ce que vous n'avez cessé d'être pendant tout le cours de vos campa- gnes, f^ous avez su allier la hravoure du maréchal de Saxe au désintéressement de M, de Turenne, et à la ('52) modestie de M. de Catinat : aussi puîs-Je vous dire que vous n avez point été séjiaié, dans mon esprit, de ces noms si glorieux dans nos fastes. M. le prince de Coudé vous a marqué a quel point j'avais été satisfait des preuves de dévouement qwQ voi's m'avez données, et combien j'ai été touché de la fidélité avec laquelle vous servez ma cause; mais ce qu'on n'a pu vous exprimer comme je le sens, c'est le désir, c'est l'impatience que l'éprouve de publier vos services, et de vous donner des marques éclatantes de ma confiance. Je confirme, Monsieur, les pleins- pouvoirs qui vous ont été transmis par M. le prince de Coudé; je n'y mets aucune borne, et vous laisse entièrement le maître de faire et d'arrêter tout ce que vous jugerez nécessaire à mon service, compatible avec la dignité de ma couronne, et convenable aux intérêts de l'état. Vous connaissez, Monsieur, mes sentiments pour vous; ils ne changeront jamais. %ze LOUIS. ( 153 ) N°. IV. Copie d'une seconde lettre de Louis XFÎll au général Pichegru. (Celle-ci était écrite sur de la gaze.) Mulheim, 9 juin 1796. Vous connaissez , Monsif^iir , les malheureux événe- ments qui ont eu lieu en Italie : la nécessité d'envoyer trente mille hommes dans cette partie , fait suspendre définitivement le projet de passer le tîhin. Votre atta- chement a ma personne vous fera juger a quel point je suis affecté de ce contre-temps, dans le moment surtout 011 je voyais les portes de mon royaume s'ouvrir devant moi. Dun autre coté, les dés;istres ajouteraient, s'il était possible , a la conGance que vous m'avez inspirée: j'ai celle que vous rétablirez la monarchie française; et soit que la guerre continue, soit que la jjaix ait lieu cet été , c'est sur vous que je compte pour le succès de ce grand ouvrage. Je dépose entre vos mains ^ Monsieur , toute la plerdtude de ma puissance et de mes droits: faites-en l'usage que vous croirez nécessairea mon service. Si les intelligences précieuses que vous avez à Paris et dans les provinces , si vos talents et votre caractère surtout, pouNaient me permettre de craindre un événe- ment qui vous obligeât à sortir du royaume , c'est entre M. le prince de Conde' et nwi que vous tromperez l'otre place. Eu vous parlant ainsi , j'ai à cœur de vous témoi- gner mon estime et mon attachement. 5/^«e LOUIS. ( i54 ) No. V. Discours de Moreau à ses juges. En me présentant devant vous , je demande à être entendu un instant moi-même. Ma confiance dans les défenseurs que j'ai choisis est entière : je leur ai livré sans réserve le soin de défendre mon innocence; ce n'est que par leur voix que je veux parler a la justice ; mais je sens le besoin de parler moi-même et a vous et à la nation. Des circonstances malheureuses, produites par le hasard ou préparées par la haine , peuvent obscurcir quelques instants de la vie du plus lionnête homme; avec beaucoup d'adresse un criminel peut éloigner de hù et les soupçons et les preuves de ses crimes : une vie entière est toujours le plus sûr témoignage contre et en faveur d'«ui accusé. C'est donc ma vie entière que j'op- pose aux accusateurs qui me poursuivent : elle a été assez publique pour être connue; je n'en rappellerai que quelques époques, et les témoins que j'invoquerai sont le peuple français et les peuples que la France a vaincus. J'étais voué a l'étude des lois au commencement de cette révolution qui devait fonder la liberté du peuple français; elle changea la destination de ma vie, je la vouai aux armes. Je n'allai pas me placer parmi les soldats de la liberté par ambition; j'embrassai l'état militaire par respect pour les droits de la nation; je devins guerrier ;, parce que j'étais citoyen. ( '55) Je portai ce caractère sous les drapeaux; je l'y ai tou- jours conservé. Plus j'aimais la liberté, plus je fus soumis à la discipline. J'avançai assez rapidement , mais toujours de grade en grade, et sans en franchir aucun; toujours en servant la patrie , jamais en flattant les comités. Parvenu au com- mandement en chef, lorsque la victoire nous faisait avancer au milieu delà nation ennemie, je ne m'appli- quai pas moins à leur faire respecter le caractère du peuple français, qu'à leur faire redouter ses armes. La guerre, sous mes ordres, ne fut un fléau que sur le champ de bataille. Du milieu même de leurs campagntS ravagées , plus d'une fois les nations et les puissances en- nemies m'ont rendu ce témoignage. Celte conduite, je la croyais aussi propre que nos victoires à faire des conquêtes a la France. Dans le temps même où les maximes contraires sem- blaient prévaloir dans les comités de gouvernement, cette conduite ne suscita contre moi ni calomnie ni per- sécution. Aucun nuafr^ ne s'éleva jamais autour de ce que j'avais acquis de gloire militaire, jusqu'à cette jour- née trop fameuse du i8 fructidor. Ceux qui firent écla- ter cette journée avec tant de rapidité, me reprochèrent d'avoir été trop lent à dénoncer un homme dans lequel je ne pouvais voir qu'un frère d'armes, jusqu'au mo- ment où l'évidence des faits et des preuves me ferait voir qu'il était accusé par la vérité, et non par d'injustes soupçons. Le directoire, qui seul connaissait assez bien les circonstances de ma conduite pour la bien juger, et ^ui, on ne l'ignore point, ne pouvait pas être disposé à ( '56) me juger avec indulgence, déclara hautement combien il nie trouvait irréprochable : il me donna de l'emploi : le poste n'était pas brillant j il ne tarda pas a le de- venir. J'ose croire que la nation n'a point oublié combien je m'en montrai digne; elle n'a point oublié avec quel dévouement facile on me vit combattre en Italie , dans des postes subordonnés ; elle n'a point oublié comment je fus reporté au commandement en chef, et renommé général, en quelque sorte par nos malheurs; elle se souvient comment deux fois je recomposai l'armée , des débris de celles qui avaient été dispersées; et comment, après l'avoir remise deux fois en état de tenir tête aux Russes et à l'Autriche, j'en déposai deux fois le com- mandement , pour aller en prendre un d'une plus grande confiance. Je n'étais pas , à cette époque de ma vie, plus répu- blicain que dans toutes les autres ; je le parus davan- tage. Je vis se porter sur moi , d'une manière plus par- ticulière , les égards et la confiance de ceux qui étaient en possession d'imprimer de nouveaux mouvements et de nouvelles directions a la république. On me proposa , et c'est un fait connu , de me mettre à la tète d'une journée à peu près semblable à celle du i8 brumaire. Mon ambition , si j'en avais eu beaucoup , pouvait faci- lement ou se couvrir de toutes les apparences , ou s'ho- norer même de tous les sentiments de l'amour de la pa« trie. La proposition m'était faite par des hommes célèbres dans la révolution par leur patriotisme, et dans nos ( '57 ) assemblées nationales par leurs talents; je la refusai. .Te me croyais fait pour commander aux armées, et ne voulais point commander a la république. C'était assez bien prouver, ce me semble, que si j'a- vais une ambition , ce n'était point celle de l'autorité et de la puissance. Bientôt après je le prouvai mieux en- core. Le 1 8 brumaire arriva , et j'étais à Paris. Cette révo- lution, provoquée par d'autres que par moi, ne pouvait en rien alarmer ma conscience. Dirigée par un homme environné d'une grande gloire , elle pouvait me faire es- pérer d'heureux résultats. J'y entrai pour la seconder, tandis que d'autres partis me pressaient de me mettre à leur tête , pour la combattre. Je reçus dans Paris les ordres du général Buonaparte ; en les faisant exécuter je concourus h l'élever à ce haut degré de puissance que les circonstances rendaient nécessaire. Lorsque, quelque temps après, il m'offrit le com- mandement en chef de l'armée du Rhin, je l'acceptai Je lui avec autant de dévouement que des mains de la ré- publique elle-même. Jamais mes succès militaires ne furent plus ra[)ides, plus nombreux, plus décisifs qu'à cette époque ; et leur éclat se répandait sur le gouverne- ment qui m'accuse. Au retour de tant de succès, dont le plus grand de tous était d'avoir assuré, d'une manière efficace, la paix du continent, le soldat entendait les cris éclatants de la reconnaissance nationale. Quel moment pour conspirer, si un tel dessein avait ja- ( >58) mais pu entrer dans mon ame! On connaît le dévouement des armées pour les chefs qu'elles aiment, et qui viennent de les faire marcher de victoire en victoire : un ambi- tieux, un conspirateur aurait -il laissé échapper l'occa- sion, h la tête d'une armée de cent mille hommes, tant de fois triomphante ? Il rentrait au milieu d'une natioa encore agitée , et toujours inquiète pour ses principes et pour leur durée. Je ne songeai qu'à licencier l'armée, et je rentrai dans le repos de la vie civile, etc ( iSg ) N». VI. Lettre du îninistre des relations exte'rîeures à M. le baron d' Edelsheim f ministre d'état, à Carlsruhe. Paris, le 1 1 mars i8i4- Monsieur le Baron , je vous avais envoyé une note dont le contenu tendait a requérir l'arrestation du co* mité d'émigrés français siégeant "a Offenbourg, lorsque le premier consul , par l'arrestation successive des bri- gands envoyés en France par le gouvernement anglaisa comme par la marche et les résultats des procès qui sont instruits ici , reçut connaissance de toute la part que les agents anglais a Offenbourg avaient prise aux terribles complots tramés contre sa personne et contre la sûreté de la France (i). Il a appris de même que le duc d'Eughien et le géné- ral Dumouriez se trouvaient à Ettenheim j et , comme il est impossible qu'ils se trouvent en cette ville sans la permission de S. A. El. , le premier consul n'a pu voir Sans la plus profonde douleur, qu'un prince auquel il lui (i) Lorsqu'on a lu cette lettre, et observe' la conduite de ces hommes que leur talent, leur esprit ou leurs intrigues ont rais à la lêle des autres, on ne peut s'abstenir d'une réflexion, c'est qu'ils sont bien adroits , s'ils ne pensent pas un mot de ce qu'ils disent, ou bien heureux de réussir, en disant franchement ce qu'ils pensent les uns des autres. ( >6o) avait plu de faire pprouver les effets les plus signalés de son amitié avec la France , pût donner un asyle à ses en- nemis les plus cruels, et leur laissât ourdir tranquille- ment des conspiration;^ aussi iiionïos. En cette Of.casion si extraordinaire, le premier con- sul a cru devoir donner a deux priits détachements l'ordre de se rendre à Offenbourg Pi à Etienheira , pour y saisir les insiigatecirs d'un crime qui, par sa nature, met hors du droit des i^ens Khisccux qui manifestement y ont pris jiart. C'est le gênera! Caulaincourt qui , à cet égar4j est chargé des ordres du yremier consul. Vous ne pouvez pas douter qu'en les exécutant, il n'observe tous les égards que S. A. peut désirer. 11 aura l'honneur de remettre à V. Exe. la lettre que je suis chargé de lui écrire. Recevez , monsieur le Baron , l'assurance de ma haute estime , Signe Cn. M. Talletuand. ( Extrait de la gazette de Lejde , avril i8i4> ) (i6i) N°. VIL jRéponse faite le i^^.jajwier i8i4, par Napoléon, au rapport de la commission du corps législatif, « Messieurs les Députés, » Je vous ai appelés autour de moi pour faire le bien ; vous avez fait le mal... Vous avez, parmi vous , des gens dévoués a rAngleterre , qui correspondent avec le prince-régent par l'entremise de l'avocat Desèze. Les onze douzièmes parmi vous sont bons ; les autres sont des factieux. Retournez dans vos départements; je vous y suivrai de l'œil. Je suis un homme qu'on peut tuer, mais qu'on ne saurait désbonorer.Quel est celui d'entre vous qui pourrait supporter le fardeau du pouvoir? il a écrasé l'as- semblée constituante, qui dicta des lois h un monarque faible. Le faubourg St. - Antoine vous aurait secondés ; mais il vous eût bientôt abandonnés... Que sont devenus les Jacobins , les Girondins, les Vergniaux, les Guadet, et tant d'autres ? ils sont morts. Vous avez cherché à me barbouiller aux yeux de la France : c'est un attentat. Qiiest-ce que le trône, au reste? quatre morceaux de bois doré recouverts de velours Se vous avais indi- qué un comité secret : c'était la qu'il fallait établir vos doléances: c'était en famille qu'il fallait laver nuire linge.... J'ai un titre , vous n'' n avez pas. Qu'êtes - vous dans la constitution ? rien. V^ous n'avez aucune autorité : II ( 162) c'est le trône qui est la constitution ; tout est dans le trône et dans moi.,.. » Je vous le répète, vous avez parmi vous des fac- tieux M. Laîné est un méchant hoïume; les autres sont des factieux : je les connais et je les poursuivrai. Je vous le demande: était-ce pendant que les ennemis sont chez nous qu'il fallait faire de pareilles choses? La nature m'a doué d'un courage fort : il peut résister h tout. 11 en a beaucoup routé a mon orgueil ; je l'ai sacrifié. Mais je suis au-dessus de vos misérables déclanuitions. J'avais besoin de consolations, et vous m'avez déshonoré; mais non : mes victoires écrasent vos ciiailleries. Je suis de ceux qui triomphent ou qui meurent. Retournez dans vos départements » Cet étrange discours est d'un fou, et donne la mesure de l'homme qu'on a voulu loiig-lonips faire passer pour un homme de génie, et un grand homme. TABLE DES CHAPITRES DE LA SECONDE PARTIE DE L'HISTOIRE DU DIX-HUIT BRUiVIAIRE. CPaga H A P. I^*". Comment SOUS le gouverne- ment de Buonaparte la guerre devait durer autant que lui „ . . . 5 C H A P. II. Campagne du premier consul en Italie ; bataille de JVLa- rengo I2 Ch AP. HT. Paix de Lunéville io C H A p. IV. Guerre de plume et d'injures. 25 C H A p. V. Des Anglais 33 C H A p. VI. La vie du preinier consul est menacée ; macliines infer- nales 37 Chap. Vît. Théorie des Conspirations.. 46 §. l'^'". Conspiration des Pioyalistes. 48 §. IT. Conspiration des Jacobins.. . 5i §. 111. Conspiration de Buonaparte. 54 Chap. Vlll. Tableau de Paris en 1802. . . 61 ( iSo) Chap. IX. Buonaparbe est nommé con- sul à vie 66 Chap. X. Expédition de St.-Domin- gue , histoire de Toussaint- Louverture 'jS Chap. XI. Affaire de Moreau , de Geoj'ges et de Pichegru,* 85 Chap. XII. Suite de la même affaire ; procès de Moreau 98 Chap. XIII. Assassinat du duc d'En- ghien, 1 10 Chap. XIV. Buonaparte est nommé em- pereur» 124 Chap. XV. // compose sa maison , et travaille à se faire recon- naître par les puissances étrangères 1 35 Pièces justificatives 14-7 FIN DE LA TABLE. Xi LO CD O -X) u u T3 «ai •H ai a •H I O: CQi •H; I K •Hi •CJ: •H! Oi -pi ni •h; 0 University of Toronto Library DO NOT REMOVE THE GARD FROM THIS POCKET Acme Library Gard Pocket Under Pat. "Réf. Index FDe" Made by LIBRARY BUREAU